Au rayon déjà bien fourni des histoires américaines, celle-là occupe une place de choix. C’est une histoire de bruit et de fureur, de drames et de "drama queen", de gloire et de malentendus ; c’est l’histoire de James Kirkwood Jr. Cet enfant de Los Angeles et de "l’usine à rêves", né à Hollywood en 1924, passé par les scènes de Broadway, est mort du sida à New York en 1989. Entre ces deux dates, d’ouest en est, une vie désordonnée et surtout une œuvre qui ne l’est pas moins, mais également précieuse, violemment sentimentale, à la manière de celle d’un Tennessee Williams, qui fut l’un des très proches de Kirkwood.
James Kirkwood était donc le fils de deux stars de l’âge d’or du muet. Son enfance, quelque peu chaotique, servira de matrice à son œuvre, traversée des mêmes échos de folie plus ou moins douce, de mélancolie et de violence. D’abord acteur, c’est comme auteur que la consécration lui vient : moins comme romancier que comme auteur dramatique. En 1975, il signe le livret de A chorus line, le plus grand succès de ces années-là à Broadway. La gloire qui est alors la sienne (n’a t-il pas alors reçu à la fois un Tony Award et un prix Pulitzer ?), et dont il fait un usage immodéré, l’achèvera. Il meurt quelques années plus tard, déjà presque oublié.
Pas tout à fait tout de même, puisque aujourd’hui Joëlle Losfeld a l’heureuse idée de nous proposer une première traduction de l’un de ses plus beaux livres, un roman aux forts accents autobiographiques, Meilleur ami/Meilleur ennemi.
C’est un adolescent qui nous parle. Un adolescent comme tous les autres, plein de colère et de contradictions, un Holden Caulfield en puissance. On le découvre en prison. On ne saura de lui, Peter Kilburn, fils d’une star déchue d’Hollywood, alcoolique et inconséquent, que le nécessaire : il a tué un homme. Peut-être aussi un garçon, un camarade de classe. Un an auparavant, il avait intégré un de ces pensionnats pour garçons dans lesquels les parents indifférents se débarrassent de leurs enfants. Peter, catholique et fils de divorcés, ne tardera pas à se faire mal voir du directeur de l’établissement, un pur produit de la haute société "wasp". Et comme un troisième larron, Jordan, fait irruption sur la scène pour satisfaire le désir de Peter de trouver un "ami de cœur", tout cela ne peut que très mal se terminer.
Curieuse valse des désirs trop longtemps tus et des amours clandestines, ce Meilleur ami/Meilleur ennemi convainc d’abord par sa belle frontalité. Si on n’y appelle pas toujours un chat un chat, on y nomme les sentiments par leur nom. Ce roman sentimental gay et tendre maraude bien sûr du côté de L’attrape-cœurs, mais bien plus encore de celui d’Une paix séparée de John Knowles (Autrement, 2004) ou d’Une vie comme une autre de Darcy O’Brien (Sous-sol, 2015). Ce récit de formation en est aussi un de déformation. C’est à la fois une chanson douce et une potion amère. O. M.