21 novembre > Correspondance France > André Breton

Grâce à sa fille Aube Breton-Elléouët, se poursuit l’exploration des correspondances d’André Breton (1896-1966). Certaines méritent de prendre place dans son œuvre même, c’est le cas de celle-ci avec le couturier-mécène Jacques Doucet (1853-1929). Le jeune écrivain occupa à ses côtés durant cinq ans, la place de "secrétaire particulier", en fait de conseiller littéraire et artistique, à la fois pour la constitution de sa bibliothèque d’éditions rares, de manuscrits, de textes commandés à des artistes impécunieux qu’il a aidés à vivre - tout comme Breton lui-même, appointé chaque mois 500 puis 1 000 francs -, et aussi de sa collection de tableaux modernes. Le tout forme un ensemble d’exception, grâce au goût absolu du fondateur du surréalisme, parfois partial, mais toujours avisé. Ainsi ferraille-t-il pour faire acquérir par un Doucet réticent Les demoiselles d’Avignon de Picasso, en qui il salue, dès 1921, "une grande chose dont l’importance historique [est] absolument indéniable […], qui [marque] l’origine du cubisme et qu’il serait si fâcheux de voir partir à l’étranger". Le tableau est aujourd’hui l’un des musts du Moma à New York. Breton fut également l’un des premiers, après Apollinaire, à s’intéresser aux arts, qu’on n’appelait pas encore "premiers", d’Afrique, d’Océanie et amérindiens.

Leurs rapports étaient fondés sur la confiance, Doucet s’en remettant à son secrétaire pour le guider dans ses choix, lui constituer, avec Aragon à partir de 1922, ses collections. Tâche relativement aisée, puisque Breton se trouvait, dès ces années-là, au cœur de cet "esprit nouveau" dont les principaux créateurs étaient tous de ses amis. Mais cela n’empêchait pas le mécène de discuter, voire de marchander certaines acquisitions, ni de montrer qui est le patron. Son obligé devait lui adresser de longues lettres, faisant état de leurs affaires, sous peine de rappel à l’ordre. La première, du 20 décembre 1920, est l’une des plus belles - et des plus rares - confessions nées sous sa plume. En contrepartie, Doucet assurait la matérielle, finançant la revue Littérature et aidant même au mariage de Breton avec Simone Kahn, sa première femme, plus aisée que lui.

La relation dure jusqu’en 1926. Toujours respectueuse, voire affectueuse, en dépit de "lézardes". Mais le "malentendu acceptable" ne l’était plus. Toutefois, de leur collaboration, et grâce à cet "Ubu protecteur des arts", dixit Breton, est née la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, unique au monde. J.-C. P.

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