Un déluge de réactions, amères ou piquantes, n’a pas tarder à déferler dans les médias, dont celle du maire de Lyon Gérard Collomb. Catastrophé, l’édile a fait part de son "immense déception" et a rendu hommage aux équipes du restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or, qui détenait sans discontinuer les trois étoiles depuis 1965. Pourtant, faut-il encore faire tout un plat des décisions rendues par le célèbre Guide Michelin ?
70% de baisse des ventes en 12 ans
Cette bronca fait aussi suite au procès très médiatisé du chef Marc Veyrat qui avait attaqué le Guide Michelin après avoir perdu une étoile pour son restaurant de Manigod, La maison des bois. Son restaurant en Haute-Savoie avait obtenu sa troisième étoile en 2018 puis avait été déclassé un an plus tard. Le TGI de Nanterre l'avait débouté le 31 décembre dernier. Mais mardi dernier, il a décidé de faire appel de la décision de justice. L'impact économique n'est pas négligeable: une étoile amène 20 à 30% de réservations en plus...
Cependant, depuis plus d’une dizaine d’années, le Guide rouge connait une forte chute de sa diffusion, à même de remettre en question son pouvoir de prescription. En 2007, il s’était écoulé 144900 exemplaires de la bible de la gastronomie française, contre 43238 en 2019 selon les chiffres des meilleures ventes annuelles Livres Hebdo/GFK, soit une baisse de 70% du volume en 12 ans.
"Son influence s'est déplacée"
"La perte de vitesse du Guide en termes de diffusion s’explique par la concurrence d’autres supports et la mutation de la recommandation gastronomique ces dernières années. Son impact reste toutefois réel, notamment pour les chefs. Mais il est vrai que son influence s’est déplacée du livre vers la scène médiatique," explique à Livres Hebdo le critique gastronomique Francois-Régis Gaudry, animateur de l’émission "On va déguster" sur France Inter, dont il décline les recettes et conseils dans des livres parus chez Marabout.
Signe de cette transformation, le Michelin organise depuis une dizaine d’années l’annonce de son palmarès dans une salle louée pour l’occasion, à grands renforts d’effets lumineux, façon keynote à l’américaine. Le tournant du spectaculaire a permis à l’institution d’occuper l’espace en capitalisant sur son aura – encore importante dans les milieux culinaires, touristiques et économiques. Mais les effets de manche annuels suffiront-ils à garantir l’adhésion de la nouvelle génération de gourmets, plus horizontale et moins sensible au pouvoir prescripteur ?
Une stratégie plus offensive
"Pour les jeunes, le jugement gastronomique passe par d’autres médias, principalement en ligne comme La Fourchette ou TripAdvisor, remarque François-Régis Gaudry. Et pendant un temps le Michelin, terni par son image de guide vieillissant et poussiéreux, n’a pas vu ou su prendre ce tournant. Mais il en a tiré les leçons. Que ce soit sur leur site ou à travers les réseaux sociaux, il se montre maintenant beaucoup plus offensif auprès des jeunes, qu’il essaie d’accrocher pour contrebalancer la perte de diffusion."
Nommé en 2018 à la tête de l’institution à l’âge de 38 ans, le breton Gwendal Poullenec, ardent partisan du développement numérique, a rajeuni le visage et les pratiques du Guide. Sa nomination intervenait peu après le rachat par le Michelin de 40% des parts de son concurrent parisiano-branché Fooding. Ces choix stratégiques ont révélé "une volonté de projeter le Guide dans le XXIe siècle," assure François-Régis Gaudry.
Les équipes du Bocuse, et de Marc Veyrat avant elles, auraient-ils fait les frais de cette politique de modernisation ? C'est l'opinion du critique gastronomique de Slate, Nicolas de Rabaudy, qui se demande si la rétrogradation du restaurant de Bocuse n'est pas "une manière pour le Guide de faire parler de lui afin d'endiguer la baisse de ses ventes". Face à la stupeur, Gwendal Poullenec s'est sobrement justifié sur RTL : " [le Paul Bocuse] est un héritage formidable [...], et nous respectons cet héritage. [Mais] l'étoile se mérite et ne dépend pas de l'aura médiatique d'un chef." Et toque.