L’affaire trouve son origine dans l’initiative de la librairie numérique néerlandaise Tomkabinet.nl, ouverte en 2014 et qui vend à la fois des livres numériques neufs et d’occasion. Ces derniers proviennent des clients du site, qui peuvent les lui revendre contre des « crédits », utilisables dans l’achat d’autres ebooks. Le site organise ainsi un commerce en circuit quasi fermé.
Les deux associations d’éditeurs néerlandais avaient assigné Tomkabinet en référé. Elles ont été déboutées en première instance et ont fait appel. La juridiction d’appel a demandé l’avis des juges européens, dont la décision très attendue permettrait de clarifier la situation dans l’UE.
En Allemagne, les juges ont estimé dans deux affaires proches que les biens numériques ne pouvaient faire l’objet de revente. Mais le site néerlandais s’appuie sur une décision précédente (2012) de la Cour européenne concernant la revente de logiciels, jugée compatible avec le droit européen, pour soutenir que le livre numérique relève des mêmes principes et peut donc aussi être revendu après une première transaction.
En l’état de la réglementation, et au nom de l’équilibre des intérêts en jeu, l’avocat général Maciej Szpunar estime que les deux situations ne sont pas comparables, pas plus que la réglementation concernant le livre papier ne peut s’étendre à celle du livre numérique.
Deux risques possibles
La loi retient l’épuisement des droits, signifiant qu’après une première vente, le titulaire des droits d’auteur ne peut prétendre à une nouvelle rémunération sur d’éventuelles reventes, et ne peut pas non plus les interdire. Mais l’avocat général fait valoir que la facilité de copie du livre numérique modifie grandement la situation.
« Il en découle deux risques pour les titulaires des droits d’auteur. Le premier est celui de la concurrence des copies de même qualité offertes à une fraction du prix du marché original et, le second, celui d’une multiplication incontrôlée des copies en circulation. En effet, de multiples échanges, au cours d’une brève période, d’une copie numérique de l’œuvre équivalent en pratique à une multiplication de copies. C’est particulièrement vrai lorsque, comme c’est souvent le cas des livres, les besoins des utilisateurs sont satisfaits après une lecture unique », explique-t-il.
D’autre part, contrairement à l’univers matériel du papier, un revendeur de livre numérique peut très bien conserver une version du fichier : même s’il est juridiquement obligé d’effacer toute copie, rien ne permet de contrôler qu’il le fasse. « Ainsi, la reconnaissance de la règle de l’épuisement du droit de distribution des copies dématérialisées pourrait contribuer au développement du piratage et rendre plus difficile la mise en œuvre des mesures destinées à le combattre », ajoute l’avocat général. Pour étayer juridiquement son avis, il fait également remarquer que la circulation du livre numérique relèverait plutôt du droit de la communication au public, lequel ne retient pas cette notion d’épuisement de la propriété initiale.
Plusieurs Etats membres de l’UE, dont la France et l’Allemagne, ont déposé des observations dans ce sens auprès de la Cour, laquelle ne précise pas la date de communication de ses arrêts, mais suit en général les conclusions de l’avocat général, saluées également par la Fédération européenne des éditeurs.
En France, en 2015, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) avait rendu un rapport sur La seconde vie des biens culturels numériques exposant les risques économiques importants pour la filière du livre, et jugeant que la notion d’épuisement des droits ne pouvait être étendue aux œuvres au format numérique.