Identité. Voilà un mot piégé, un mot embarrassant. Il a des relents de police, de contrôles, de frontières, d'exclusion. Il fallait donc qu'un philosophe - et non des moindres - s'en empare pour nous dire ce qu'il y a derrière ce terme. Spécialiste du langage, grand connaisseur de Proust, auteur d'une "Enquête sur le fait d'agir de soi-même" (Le complément de sujet, Gallimard, 2004), Vincent Descombes était particulièrement bien placé pour "déconstruire" le sujet.
Le rôle d'un philosophe, c'est peut-être surtout de dénouer les mots, d'en tirer tous les fils, car c'est par eux que la pensée circule. Or - Vincent Descombes l'explique fort bien dans ces pages éclairantes -, ce mot identité pose un problème philosophique. Ce terme nous fait dire ce que nous ne voulons pas dire et nous empêche de dire ce que nous voulons dire. On saisit mieux pourquoi, accolé à un ministère, ce mot était inextricable, donc impensable.
Répondre de manière définitive et complète à la question "qui suis-je ?" reviendrait à abolir toute philosophie, tout questionnement sur soi et sur les autres. Aussi le travail de Vincent Descombes nous fait voyager dans la psychanalyse, l'anthropologie et la philosophie du côté de Wittgenstein, Frege ou Quine.
Mais l'auteur de L'inconscient malgré lui ("Folio essais", 2004) ne se limite pas aux penseurs germaniques ou anglo-saxons. Il nous entraîne avec la même lucidité chez Voltaire, Rousseau, Louis Dumont, Castoriadis, Pascal qui invente le dédoublement de l'identité (je ne suis pas un mais plusieurs), ou les logiciens de Port-Royal qui évoquent l'identité collective (qui sommes-nous ?).
Vincent Descombes en vient donc à traiter d'un problème majeur. Il explique que penser comme individu au sein d'un groupe ne signifie pas renier son identité personnelle pour une identité collective. D'où ce subtil jeu métaphysique dont il nous donne la règle : "L'individu se définit en déclarant ce qui, à ses yeux, fait partie de son identité. Mais ce qui fait partie de son identité, c'est cela dont lui-même fait partie."
Quant à l'identité plurielle, elle facilite la vie de certains, comme cet évêque du Moyen Age qui était marié, mais en tant que baron ! Elle peut aussi devenir agaçante lorsque celui qui vous a emprunté de l'argent explique qu'il n'est plus le même qu'hier et qu'il ne peut donc aujourd'hui être tenu responsable d'un engagement qui n'était pas le sien...
Dans ce livre qui soulève quantité de questions sur notre société contemporaine, Vincent Descombes en expose une essentielle : "Pourquoi c'est le mot "identité" qui s'est imposé pour exprimer les malaises que nous qualifions d'identitaires ?" Le cheminement intellectuel qu'il nous propose permet d'envisager quelques pistes dans un monde où avoir une identité revient à "être à soi à telle et telle condition". En fait, on est ce qu'on n'est pas encore devenu. Voilà pourquoi l'identité varie avec le temps. Comme les papiers du même nom...