9 janvier > Histoire France

Laurence Fontaine- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Voilà un méchant mot ! Au singulier, il inquiète. Au pluriel, il terrifie. Il a mauvaise réputation et on lui reproche tout. La crise, le chômage, la pollution, la déprime, c’est lui. Jadis pourtant, quand on parlait du marché, on pensait achat et vente, mais pas à Wall Street. Le commerce, on le voyait petit, et l’échange convivial. Que s’est-il donc passé ? Il fallait bien qu’une historienne s’empare du sujet. Laurence Fontaine l’a fait. Et bien fait.

Directrice de recherche au CNRS, auteure d’un essai sur L’économie morale (Gallimard, 2008), elle raconte comment cette institution d’échange a été dévoyée par la cupidité de quelques-uns qui sont devenus, il est vrai, de plus en plus nombreux.

Dans cette solide étude, étayée de références, de citations et de nombreuses anecdotes, nous saisissons le moment de cette transformation. Laurence Fontaine montre que les foires furent à l’origine des marchés et que les places des villages ont inspiré les places financières. Ces manifestations commerciales correspondaient aux fêtes religieuses et enrichissaient l’aristocratie. Puis, peu à peu, sous l’influence du protestantisme, la bourgeoisie fit passer le local à l’international.

A l’aide d’un subtil va-et-vient entre le passé et le présent, Laurence Fontaine explique comment le marché des villes, avec des réglementations peu appliquées depuis Charlemagne, est devenu le marché boursier tout aussi déréglementé. Ce marché d’antan était aussi un espace populaire où l’on jouait autant qu’on faisait des affaires. Ces marchés-là perdurent aujourd’hui dans les pays en voie de développement avec ces vendeurs de rue qui ont un rôle social important.

Cette étude des réseaux marchands et des colporteurs corrige un peu la conception tripartite du capitalisme selon Braudel, avec ses petits consommateurs, ses boutiquiers et ses puissants commerçants. En cela, Laurence Fontaine ne veut pas séparer le capitalisme de l’économie de marché. Elle donne également des exemples des enjeux politiques et sociaux des marchés, avec les ventes aux enchères où l’acheteur fixe le prix des biens, et la loterie où le hasard décide de l’acquéreur. Elle dévoile aussi un marché au cœur de la stratégie de survie de ceux qui sont au bord de la misère et évoque les vicissitudes du microcrédit et du statut d’auto-entrepreneur, manières de réinventer le marché dans les pays pauvres ou émergents.

Alors le marché est-il un bienfait ou une calamité ? Laurence Fontaine démontre que cela dépend de ce qu’on en fait. Pour lui redonner un peu de lustre, il s’agirait de remettre davantage de démocratie et de transparence dans un dispositif opaque. En somme, ne plus réserver le mot « marché » à quelques-uns, mais l’ouvrir à tous. Laurent Lemire

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