Spectaculaire et inédit depuis que l’auteur de ces lignes suit les meilleures ventes hebdomadaires GFK/Livres Hebdo : une romancière place quatre titres à la suite des premières places du classement. Selon les données de l’institut, plus d’un livre sur deux vendus en France (52,6 % exactement) entre le 14 et le 20 avril 2025 est signé par la romancière américaine Freida McFadden, avec le dernier titre de la trilogie La femme de ménage voit tout (City – 12e place) qui culmine à plus de 230 000 ventes depuis sa sortie en octobre dernier.
C’est d’autant plus remarquable que l’Américaine, médecin spécialiste des lésions cérébrales qui écrit sous pseudonyme, était inconnue il y a encore deux ans à la sortie de son premier roman La femme de ménage en 2023, aux éditions City. Le phénomène éditorial (qui s’est développé dans de nombreux pays) a pris de l’ampleur en France près d’un an après sa sortie en poche aux éditions J’ai Lu. La filiale du groupe Madrigall place d’ailleurs les trois premiers titres du classement, dont un inédit sorti le 16 avril, La psy, en tête des ventes. L’autre inédit, La prof, est publié en grand format par l’éditeur historique en France de Freida McFadden, City, et se place en 4e position du classement.
Transformation des usages
« Une joie absolue » : c’est ainsi qu’Hélène Fiamma, directrice des éditions J’ai Lu, a décrit l’onde de choc provoquée en interne par La femme de ménage, lors de l’émission Un monde nouveau sur France Inter en marge du Festival du Livre de Paris, le 12 avril dernier. Une aventure éditoriale fulgurante, rare dans sa vitesse et son intensité, qui éclaire les dynamiques nouvelles du marché, entre flair éditorial, relais communautaires et puissance des réseaux sociaux.
Tout commence début 2023. City Éditions, par l’entremise de Frédéric Thibaud, découvre cette autrice autoéditée aux États-Unis, alors inconnue en France. « Frédéric fait son rôle d’éditeur. Il lit le texte, il en devient dingue. Il décide de le publier », retrace Hélène Fiamma. Un pari osé, transformé quelques mois plus tard en raz-de-marée littéraire.
En octobre 2023, J’ai Lu sort la version poche après en avoir acquis les droits aux enchères. La machine s’emballe. « Je n’ai jamais vécu une aventure comme celle-là. Très peu d’éditeurs l’ont vécue. C’est exceptionnel », confie l’ancienne patronne de Payot & Rivages. Et pour cause : au-delà des chiffres, c’est une transformation des usages qui s’opère. « Des gens qui n’avaient jamais lu un livre de leur vie sont tombés sur La femme de ménage et ont été contaminés par le virus de la lecture », raconte-t-elle.
Ce succès, J’ai Lu l’a senti venir de l’intérieur. « 80 % de la maison avait lu le manuscrit. On se le passait. Et souvent, le succès d’un livre commence par ça. » L’équipe marketing prend alors un virage audacieux, loin des clichés promotionnels du genre tels que “le best-seller de vos nuits blanches” ou “le phénomène international”. À la place, un bandeau inattendu : “Lu en moins de deux heures”. « On est parti des lecteurs. Ce qu’ils disaient sur les réseaux, c’était : “Je l’ai lu en 1 h 30”. On a voulu capitaliser sur ce ressenti immédiat », explique l'éditrice.
Un titre qui fédère les publics
Mais le succès de Freida McFadden dépasse la simple mécanique marketing. Il repose sur une écriture accessible, tendue, efficace. « Freida McFadden a un art du twist absolument exceptionnel. Je me fais avoir à chaque fois, alors que j’ai lu des milliers de livres », s’enthousiasme Hélène Fiamma. À cela s’ajoute une profondeur sociologique inattendue : « Ses héroïnes — femmes de ménage, profs — exercent des métiers invisibles, dans les interstices de la société. Ce ne sont pas forcément des personnages attachants, mais ils sont puissants, ambivalents, profondément humains », analyse-t-elle.
Le choix du genre, lui aussi, joue un rôle stratégique. Le thriller psychologique, ou « suspense domestique », s’avère être un terrain idéal pour aborder des thèmes contemporains : précarité, rapports de classe, justice sociale, vengeance. « Ce sont des femmes qui ont subi des violences, et qui finissent par se venger. Ce n’est peut-être pas moral, mais c’est libérateur. Et ça parle », résume l’éditrice.
Enfin, l’impact générationnel ne peut être ignoré : les Millennials et la Gen Z, très actifs sur TikTok, se sont approprié cette lecture. « C’est un parfait mix entre narration addictive et thèmes actuels. Une frontière floue entre travail et vie personnelle, qui résonne avec leur quotidien », constate la patronne de J'ai Lu.
Résultat : un titre qui transcende les codes, fédère les publics, et redonne goût à la lecture. Un « livre déclic », pour reprendre le jargon. « Dans l’édition, on n’invente pas grand-chose. Mais parfois, un livre révèle une époque. Et là, on est en plein dedans », conclut Hélène Fiamma.