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Le nouvel âge des BU

Le learning center Odegaard de la bibliothèque universitaire de Washington, aux Etats-Unis. - Photo JOHN AUGURI

Le nouvel âge des BU

En se transformant en learning center les bibliothèques universitaires deviennent des lieux stratégiques sur les campus. Analyse avec John Augeri, auteur d'une enquête internationale. _ par Véronique Heurtematte

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 05.04.2019 à 13h21

Apparus il y a quelques années, d'abord dans les universités anglo-saxonnes, les nouveaux espaces d'apprentissage, souvent désignés par leurs termes anglais, learning spaces ou learning centers, se généralisent dans les universités, partout dans le monde. Le phénomène, loin d'être un effet de mode, constitue une tendance de fond. L'enjeu pour les universités, qui investissent de manière significative dans ces équipements, est de favoriser les initiatives en matière de pédagogie innovante et de répondre aux nouvelles pratiques des étudiants. Dans le contexte de plus en plus concurrentiel de l'enseignement supérieur, le learning center est également pour les universités un moyen d'afficher leur modernité et de se doter d'un élément d'attractivité supplémentaire auprès des étudiants, susceptible de faire pencher la décision du bon côté au moment où, ces derniers choisiront leur établissement. Au Japon, par exemple, la bibliothèque de l'université de Seikei, et ses spectaculaires sphères transparentes suspendues au-dessus du hall central, est désormais l'emblème de l'établissement, connu dans le monde entier, et mis en avant dans tous les supports de communication.

La bibliothèque Lee Wee Nam de l'université technologique Nanyang à Singapour.- Photo JOHN AUGURI

Diversité des services

Là où ils se développent, les learning centers deviennent généralement le point central du campus. Ils transforment en profondeur non seulement l'environnement et les conditions d'apprentissage, mais plus globalement la manière de vivre sur un campus. Or, dans 80 % des cas, ces nouveaux espaces sont implantés dans les bibliothèques universitaires, comme le relève John Augeri, directeur de projet à l'Université numérique Paris Ile-de-France et chercheur spécialiste des nouveaux espaces physiques d'apprentissage auxquels il consacre depuis plusieurs années une enquête à l'échelle internationale. « Les learning spaces génèrent souvent de fortes fréquentations, explique John Augeri. Quand ils sont localisés dans un lieu indépendant, cette fréquentation se fait quasi systématiquement aux dépens de la bibliothèque universitaire. En revanche, quand ils sont installés dans la bibliothèque, on observe une synergie et un accroissement très significatif de la fréquentation, supérieur au cumul du nombre de visiteurs des deux structures si elles étaient séparées. Le learning center devient l'épicentre de la vie sur le campus. »

L'academic link center de l'université Chiba au Japon.- Photo DR

S'il n'existe pas de modèle unique, les learning spaces ont cependant comme caractéristiques communes de rassembler, dans un lieu à l'identité marquée, confortable et accueillant, une offre de contenus documentaires et des services d'une grande diversité : guichet d'assistance technologique, prêt de matériel, espaces de travail collaboratif, services d'orientation, et même, parfois, une vraie cuisine, où les usagers peuvent venir réchauffer un plat et s'installer pour déjeuner. L'une des principales conséquences de ces nouveaux équipements est l'abolition de la frontière entre les espaces d'apprentissage formels, tels que les salles de cours, les amphis, où les enseignants interagissent avec les étudiants, et les espaces d'apprentissage informels, comme la bibliothèque. « Auparavant, il existait une distinction marquée entre les deux types d'espace, note John Augeri. Aujourd'hui d'hui, les learning centers, espaces d'apprentissage informels, intègrent des équipements tels que des salles de pédagogie active ou des auditoriums que les enseignants viennent utiliser avec leurs étudiants, conduisant à une recomposition du campus. » La nécessité de libérer des mètres carrés pour la création de ces nouveaux espaces modifie la place attribuée aux collections de livres imprimés. « L'évolution vers un learning center ne dévalorise pas les fonctions documentaires traditionnelles, qui restent très appréciées des étudiants, souligne John Augeri. J'observe peu de cas où les collections de livres imprimés sont supprimées. En revanche, il y a une tendance qui consiste à les placer dans des réserves où un robot va les chercher sur demande. Cela permet de libérer de l'espace tout en préservant les collections, c'est un compromis intéressant. » Dans ces nouveaux équipements, où le projet est centré sur l'usager, les rapports entre étudiants et bibliothécaires changent avec, notamment, le développement de l'accueil ambulatoire, dans lequel le personnel va au-devant des lecteurs. Souvent très bien pourvus en technologie, ces établissements de nouvelle génération ne font pas disparaître la nécessité de la médiation humaine, bien au contraire. « Investir dans du mobilier qualitatif, de la technologie, un lieu esthétique c'est très bien, mais la composante humaine reste essentielle pour la réussite de ce type de projet, confirme John Augeri. La véritable innovation vient des pratiques nouvelles qu'on met en place, ou que l'on induit. »

Autre conséquence d'importance, la mise en place de nouveaux services est l'occasion pour les équipes de bibliothécaires de développer ou de renforcer les collaborations avec les équipes pédagogiques de l'université, ainsi qu'avec les personnels des autres départements de l'institution. Les permanences d'assistance technique, par exemple, sont assurées par la direction des services informatiques de l'université. « Les learning spaces constituent des points de convergence pour les étudiants, les enseignants-chercheurs, mais également pour les personnels des autres services de l'université », observe John Augeri.

Boîte à outils

Pour les bibliothèques universitaires, la mutation vers un modèle learning space porte donc des enjeux stratégiques forts. « Aujourd'hui, le lieu d'innovation dans une université, c'est la bibliothèque, se réjouit John Augeri.Il y a là pour ces dernières une opportunité très grande. Pas plus que les moocs n'ont fait disparaître le besoin d'avoir des universités physiques, le développement des ressources numériques ne fait pas disparaître le besoin de bibliothèques, même si les étudiants s'y rendent principalement pour consulter en ligne. » Le chercheur travaille actuellement à la traduction du « learning space toolkit », boîte à outils en ligne qui rassemble des ressources destinées à aider les porteurs de projet dans leur démarche élaborée par l'Université d'Etat de Caroline du Nord. Cette version en français et adaptée au système de l'enseignement supérieur en France devrait voir le jour dans les mois à venir. John Augeri a aussi réalisé en 2017 la traduction adaptée du Learning space Rating system d'Educause, salon américain consacré aux technologies de l'information dans l'enseignement supérieur.

La France s'y met aussi

L'Hexagone, learning center situé sur le campus de Luminy de l'Université d'Aix-Marseille, est un lieu de convergence pour tous les usagers de l'université.- Photo JEAN FONDACCI

Les universités françaises se sont, comme leurs homologues nord-américaines ou asiatiques, emparées du concept de learning center. Ouvert en septembre dernier, l'Hexagone, learning center situé sur le campus de Luminy de l'Université d'Aix-Marseille, (Prix Livres Hebdo des bibliothèques 2018 dans la catégorie Espace intérieur) constitue un exemple récent particulièrement abouti par l'intégration, dans un même bâtiment, de nombreux services et fonction. Situé au cœur du campus, à proximité des équipements sportifs et du restaurant universitaire, l'Hexagone rassemble la bibliothèque, des espaces de diffusion (auditorium, lieu d'exposition, salle de visioconférence), des services pédagogiques et de recherche tels que le centre des langues, le centre d'innovation pédagogique, le service d'orientation, des espaces de travail et de réunions réservables à distance. Il donne notamment accès à 20 salles d'une capacité de 2 à 16 personnes, offrant différents aménagements et postures de travail, permettant aux étudiants de venir travailler en groupe, aux enseignants de s'y réunir pour leurs séminaires, de produire des films, des présentations. Le premier bilan, six mois après son ouverture, est très positif et conforme aux observations faites à l'échelle internationale par John Augeri. « L'Hexagone dans son ensemble est un lieu de convergence pour tous les usagers de l'université, souligne Samuel Lespets, responsable de la bibliothèque de l'Hexagone. La communauté des enseignants-chercheurs utilise l'auditorium et l'espace de pédagogie innovante. Les ateliers de formation thématiques proposés à la bibliothèque à l'heure du déjeuner ne sont plus animés seulement par les bibliothécaires mais aussi par d'autres services de l'université ou même des associations extérieures en fonction des sujets ». Autre programme d'envergure, le Learning Centre de l'université Lumière-Lyon-2, qui verra le jour en 2021 sur le campus Porte des Alpes, a été conçu comme l'élément phare du chantier de réaménagement du campus. Sur une surface de 12 000 m2, il concentrera, aux côtés de l'offre documentaire, des activités et des services jusque-là dispersés, dont le service d'orientation et d'insertion professionnelle, le Guichet des services numériques. Là aussi, le futur équipement, conçu comme un lieu hybride, portera l'enjeu d'être l'épicentre de la vie sur le campus. Dédié aux utilisateurs de l'université, il sera également largement ouvert sur la ville et le public extérieur.

Xxxx- Photo JEAN FONDACCI

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