Disparition

Le poète Jacques Roubaud est mort le jour de ses 92 ans

Jacques Roubaud - Photo Olivier Dion

Le poète Jacques Roubaud est mort le jour de ses 92 ans

L'OuLiPo perd l'un de ses éminents représentants, publié notamment chez Gallimard, Seghers et au Seuil.

Par Éric Dupuy
avec AFP Créé le 05.12.2024 à 16h32 ,
Mis à jour le 06.12.2024 à 13h35

« Compositeur en poésie et retraité de la mathématique », Jacques Roubaud, décédé jeudi le jour de ses 92 ans, a été un grand poète contemporain, éminent représentant de l'OuLiPo, un collectif littéraire friand de trouvailles linguistiques pour lequel Raymond Queneau l'avait coopté en 1966.

Auteur prolifique traduit dans plusieurs langues, il a reçu le Goncourt de la poésie 2021 pour l'ensemble de son oeuvre, quelques mois après que Hervé Le Tellier, autre représentant de cet étrange atelier littéraire qui lui a rendu hommage sur X, eut obtenu le Goncourt pour son roman L'Anomalie (Gallimard).

Sa poésie à la fois savante et ludique appartient aux classiques de la littérature contemporaine, comme en témoigne la réception du Grand prix national de la poésie (1990) et du Grand prix de littérature Paul-Morand de l'Académie française (2008).

Gallimard a publié en 2016 une anthologie personnelle, Je suis un crabe ponctuel (1967-2014).

Au centre de son oeuvre : la confrontation avec la disparition

Pour cet agrégé de mathématiques et docteur en littérature, la poésie résulte de la rencontre entre sentiment et raison, entre Mémoire et Nombre, selon ses propres mots.

Au centre de son oeuvre : la confrontation avec la disparition. Celle de son frère suicidé évoquée dans son autobiographie romanesque Peut-être ou La nuit de dimanche, et celle de sa femme, la photographe Alix Cléo Roubaud. Janvier 1983, rue Vieille du Temple: la chaleur s'éteint / la main tiède / aux doigts anormaux (Quelque chose noir, 1986).

Face à la mort, la mémoire devient conjuration et la versification, rempart contre l'oubli. « Il s'agit d'inscrire des sentiments dans un rythme, dans une forme réfléchie », affirmait ce spécialiste du sonnet, auquel il avait consacré une thèse en 1990 sous la direction d'Yves Bonnefoy.

Inventeur du « trident », une forme poétique de trois vers plus ramassée encore que le haïku (Mélilots: méli-mélo des / mélilots / mêlant mes lilas), il invente aussi « la joséfine », la « mongine », formes particulières de permutations mathématiques.

Ou bien encore « le baobab », poème saturé en syllabes contenant haut et bas, destiné à être lu par trois voix. « La poésie est à destination à la fois d'un œil et d'une oreille », confiait-il à Télérama.

Mathématiques, réservoir de poésie

Né le 5 décembre 1932 à Caliure (Rhône), Jacques Roubaud est petit-fils d'instituteur et fils d'enseignants résistants. Son père est professeur de philosophie et sa mère, l'une des premières femmes à intégrer l'École normale supérieure en 1927, enseigne l'anglais.

Jacques Roubaud nourrit à ce titre une passion pour l'Angleterre. Il lit essentiellement en anglais et traduit notamment Lewis Carroll.

Au début des années 1950, il se met à écrire du « mauvais surréalisme, mêlé d'un peu de poésie engagée ». Échaudé, il s'éloigne de la poésie entre 20 et 30 ans puis devient professeur de mathématiques à l'université de Rennes, puis pendant vingt ans à Paris-10 Nanterre.

Lorsqu'il reprend la plume en 1960, il est aux antipodes de l'écriture automatique des surréalistes : « La mathématique » devient pour lui « une sorte de réservoir possible de règles et de formes poétiques nouvelles ». Il compose des sonnets, puise dans les formes chères aux troubadours.

En 1967, Raymond Queneau publie , son premier recueil de poèmes chez Gallimard et le fait entrer à l'OuLiPo, « un groupe à la fois très sérieux et un peu dingue ». Bientôt Georges Perec les rejoint.

Avec La Vieillesse d'Alexandre (1978) ou Poésie, etcetera: ménage (1995), il livre ses réflexions sur la poésie contemporaine.

Ce grand voyageur a également écrit des ouvrages de souvenirs Le Grand Incendie de Londres, 1989, La Bibliothèque de Warburg, 2002 et une trilogie romanesque consacrée à La Belle Hortense (1985, 1987, 1990).

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