Courrier

Christian Thorel, P-DG de la librairie Ombres blanches, à Toulouse, rend hommage à son confrère Henri Martin, fondateur à Bordeaux de La Machine à lire, décédé le 5 avril.

"La disparition d’Henri Martin, trop précocement, vient marquer dramatiquement tant de changements d’ère dans l’univers de nos livres. Henri avait une conception du métier qu’il héritait de quelques grands libraires, de quelques figures de l’édition, de nombreuses lectures, et aussi d’une formation qu’il avait inaugurée à Bordeaux en 1976, celle de l’IUT de Robert Escarpit. Une grande part d’Henri appartenait au siècle passé, et sa jeunesse avait été celle des engagements intellectuels et des sciences humaines.

Quelques trop courtes années après le début de ce millénaire, il avait, avec Danielle, choisi de ne pas prolonger un déjà long séjour dans leur belle librairie de Bordeaux, dans les lieux de leur engagement. C’était sûrement autant pour des raisons de santé que, peut-être, pour faire droit à une certaine prémonition.

Henri savait que nos métiers allaient changer, sous la pression des souris et des écrans. Pourtant, il fut le premier à ouvrir un site Internet de librairie, dès 1996, pour sa "machine", pour que sa locomotive soit à l’heure des ordinateurs.

Auparavant, avec son énergie et son caractère légendaire, ses combats étaient ceux de notre génération, militante, combative, accrochée à obtenir la loi sur le prix unique, puis à la défendre, avant d’embrayer dans le mouvement collectif L’Œil de la lettre, groupement dont le travail fut décisif pour tant de vocations de libraires. Ses combats, après 2008, il a dû les mener sur d’autres fronts économiques, dans d’autres collectifs bordelais, et aussi contre les ennuis de sa santé, trop souvent bousculée.

Henri aura marqué la vie culturelle à Bordeaux dans un milieu trop largement acquis à d’autres formes de commerce des livres, à un commerce plus voyant, plus établi, plus "bordelais". C’est cette originalité, cette marque générationnelle, cette marge parfois, avec ses emportements et aussi sa singularité, et même ses échecs, c’est la résurrection de tout cela sous la direction d’Hélène des Ligneris, qui font la marque de La Machine à lire.

Il me restera d’Henri Martin le souvenir des moments privilégiés, d’une évidente connivence et d’une confiance réciproque, sans réserve. Son sourire sous une moustache pas toujours bien taillée, l’ironie au service d’un esprit frondeur, autant de choses désormais dans l’ordre des images, et de la mémoire. Pour le reste, Bordeaux a gagné en 1979 dans la rue de la Devise, puis sur la Place la plus emblématique depuis vingt ans, une librairie magnifique, désormais dans le deuil, mais plus vivante que jamais. Le projet était bon, il durera, comme durent les livres, longtemps."

15.04 2016

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