L'ex librairie Gibert jeune de la place St Michel à Paris - Photo Olivier Dion
L’amour dure deux ans : les subtilités du renouvellement du bail commercial
Les libraires, comme les éditeurs et de nombreux autres professionnels du livre, le savent bien, le bail commercial est un contrat complexe. Notre chroniqueur fait le point en partant de l’exemple d’une célèbre librairie parisienne.
Le bail commercial est au droit ce que la mythologie grecque est aux étudiants en hypokhâgne : un dédale de subtilités et de chausse-trapes.
Une célèbre librairie parisienne de la place Saint Michel occupait depuis 1936 le même local dont le bail avait été depuis renouvelé sans discontinuer pendant plus de 80 ans jusqu’en 2019, année au cours de laquelle un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction lui a été délivré. Après ce congé, les bailleurs ont vendu les locaux à une société d’économie mixte qui a exercé son droit à repentir avec renouvellement du bail. Ce qui a été fait. La librairie, reprise entretemps, pouvait donc continuer son activité. Mais les locaux étaient à nouveau cédés à une foncière qui, soucieuse de ses deniers, entendait récupérer les douze mois non payés entre les deux baux sous forme d’indemnités d’occupation pour cette période.
En effet, la durée légale des baux commerciaux est de neuf années, dont le renouvellement n’est pas automatique. A l’issue du bail, le libraire doit alors faire face à plusieurs situations :
1 Le congé donné par le bailleur
Six mois avant l’échéance des neuf années du bail commercial, le bailleur peut donner un congé au libraire-locataire (article 145-9 du Code de commerce). Le bailleur peut assortir le congé d’une offre de renouvellement avec éventuellement une augmentation de loyer. Dans ce cas, le locataire peut soit (i) garder le silence qui vaudra acquiescement du renouvellement (article 145-10 du Code de commerce), soit (ii) accepter l’augmentation de loyer de manière expresse ou de manière tacite (en payant le nouveau loyer augmenté), soit encore (iii) contester le montant du nouveau loyer proposé auprès du bailleur. À défaut d'accord amiable, la valeur locative sera déterminée par le tribunal judiciaire en fonction des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage. A défaut d’avoir saisi le tribunal judiciaire dans les deux ans (article 145-60 du Code de commerce), le bail sera renouvelé aux mêmes conditions de loyer que le bail expiré, notamment le montant du loyer.
2 La demande de renouvellement par le locataire
A défaut de congé par le bailleur, le libraire-locataire, qui veut obtenir le renouvellement de son bail, doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit à tout moment au cours de sa prolongation (article 145-10 du Code de commerce). A la suite de la demande de renouvellement du locataire, le bailleur peut soit (i) accepter le renouvellement, soit (ii) refuser le renouvellement et faire connaître au locataire les motifs d'un éventuel refus de renouvellement dans les trois mois, soit (iii)garder le silence, actant ainsi le principe du renouvellement ; étant précisé que le bailleur peut toujours demander une augmentation de loyer durant un délai de deux ans.
3 La prolongation tacite
Si aucune des deux parties ne se manifeste, le bail se prolonge tacitement pour une durée indéterminée (article 145-9 du Code de commerce). Si la durée de prolongation excède trois ans à la fin du bail, le bail ayant dépassé douze ans, le loyer sera alors déplafonné. Cette situation risque d'être désavantageuse pour le libraire, le loyer étant fixé à la valeur locative, ce qui peut aboutir à une forte augmentation du loyer. C’est pourquoi, pour éviter la prolongation tacite, le libraire-locataire a tout intérêt à demander le renouvellement du bail au bailleur si ce dernier ne lui a pas proposé le renouvellement de son bail six mois avant la fin de son bail.
Face à une situation de renégociation de loyer, le libraire a également la possibilité de bénéficier d’aides et de soutien des collectivités territoriales, du CNL ou des syndicats de l’édition ou de la librairie française, du Ministère de la Culture, notamment à travers les Directions régionales des affaires culturelles.
En l’espèce, la question qui se posait était de savoir à quel moment débutait la prescription de cette action en recouvrement d’indemnités d’occupation ; étant rappelé qu’en matière de bail commercial, la prescription est de deux années. Et ce, pour toutes les actions.
La librairie soutenait que le point de départ de l’action en fixation d’une indemnité d’occupation était la date d’effet du congé sans offre de renouvellement et offre de paiement d’une indemnité d’éviction en l’absence de contestation du droit à indemnité d’éviction. C’est bien ce qu’a confirmé le Tribunal Judiciaire de Paris (Tribunal judiciaire, Paris, 28 Mars 2024 – n° 23/03305) en jugeant qu’en l’absence de contestation du droit au paiement d'une indemnité d'éviction de la librairie, le délai de prescription de deux ans, applicable à l’action en fixation d’une indemnité d’occupation selon l’article L. 145-28 du code de commerce, commençait bien à courir à la date d’expiration du bail.
Alexandre Duval-Stalla
Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla
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Par
Éric Dupuy
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