En plein débat sur l'enseignement de l'histoire et de la géographie, à l'heure des crispations identitaires, voilà un livre qui remplacerait avantageusement bien des manuels scolaires, et vaut en somme toutes les leçons d'instruction civique... Un livre plein de monuments aux morts, d'ors, de pompe et de touchantes vanités, d'élus dépressifs et de héros anonymes, de clameurs des foules et de solitude du pouvoir, de gamins venus d'Afrique qui se prénommeraient Jospin, de foi en l'avenir et de passés qui ne passent pas, de mythologies portatives, de signes et de remords, d'histoires pathétiques et glorieuses, notre histoire. République - puisque c'est ainsi que s'intitule cette caverne d'Ali Baba de 250 pages - est ici à prendre au sens étymologique, res publica, la « chose publique ».
Aux manettes, le photographe Gérard Rondeau, qui depuis trente ans, du Tour de France aux cathédrales, de Sarajevo à New York, des cimaises des musées aux dispensaires de Médecins du Monde, offre aux visages et aux paysages (sachant que les uns sont aussi les autres) de grands aplats de noir et de gris qui leur sont comme autant d'écrins. Raphaëlle Bacqué l'accompagne ; elle dont on n'est pas loin de penser qu'elle est l'une de nos plus belles romancières, puisque aussi bien sous sa plume, de Grossouvre à Matignon et de madone du Poitou en Corrézien de l'Hôtel-de-Ville, la politique est un roman crépusculaire.
C'est d'ailleurs ce qui fait tout le prix de ce République, tableau tout de même d'une France qui s'en va, où ce qui mute est plus fréquent que ce qui demeure, et où pourtant l'émotion de ces départs est plus attendrie que chagrinée. Sans doute cela est-il aussi dû à l'impeccable, et merveilleusement élégante, conception éditoriale et graphique du volume. Textes et images, citations et enquêtes, détails et panoramiques s'y répondent en un dialogue parfaitement orchestré. Cet album de famille-là a une gueule folle.