Les « lanceurs d’alerte » occupent le devant de la scène médiatique et éditoriale. Le terme de « lanceur d'alerte » aurait été créé il y a bientôt vingt ans par les sociologues Francis Chateaureynaud et Didier Torn ; et a été repris par scientifique André Cicolella.
Ils s’appellent à présent Edward Snowden et Julian Assange. Hier encore, sous une autre étiquette, Irène Frachon ou Véronique Vasseur ont alerté l’opinion sur la prison de la Santé ou les dangers du Mediator. Avant-hier, Colette et Henri Jeanson, ou encore Henri Alleg ont aussi combattu par leurs écrits.
Le statut juridique de ces super-citoyens ne leur est en rien favorable. La plupart du temps, ils ne sont pas journalistes et ne peuvent invoquer le secret des sources. Pire encore, ils sont souvent liés à ceux qu’ils dénoncent par un secret professionnel ou un devoir de réserve.
Le risque principal réside bien évidemment dans la diffamation et/ou dans l’injure, recensées dans la loi du 29 juillet 1881 et que peut contenir le texte enflammé. Rappelons simplement que les règles d’actions en justice sur ces fondements ne répondent pas aux simples critères d’absence de véracité. Et qu’un document stigmatisant des comportements avérés mais prescrits, amnistiés ou encore portant sur la vie privée peuvent être répréhensibles.
Médiator 150 mg, Combien de morts? a ainsi fait l’objet d’un procès en référé dès sa sortie en 2010. Le tribunal de Brest a alors estimé le sous-titre « accusatoire, grave, inexact et dénigrant ». Ce n’est qu’en janvier 2011 que la Cour d’appel de Rennes a débouté les laboratoires Servier.
Entretemps 24 octobre 2010, la Cour d’appel de Paris a estimé que l’interdiction de divulguer de pièces du dossier Servier, en application de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, constituait « une ingérence disproportionnée, dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, et ne répondait pas à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d’autrui ou de garantie de l’autorité ou de l’impartialité du pouvoir judiciaire et doit, dès lors, au cas d’espèce être déclarée non conforme à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
En l’occurrence, un grand quotidien avait amplement cité les procès-verbaux d’audition d’un témoin « visant à présenter la politique de diffusion de ses produits par les Laboratoires Servier comme recourant à des méthodes mercantilistes de persuasion des médecins prescripteurs, peu soucieuses d’exactitude sur les caractéristiques et les propriétés réelles de ces produits et, en particulier du Mediator, sans contenir une claire prise de position sur la culpabilité des Laboratoire Servier. »
Or, la cour a décidé qu’« informer le public sur un sujet tel que l’affaire du Mediator, qui a trait à un problème de santé publique général (…) présente sans conteste un intérêt majeur ».
Ces décisions de justice ne doivent pas faire illusion. Rappelons que, d’une manière générale, les protagonistes des faits divers ou de scandales affairistes disposent d’une très grande palette de moyens juridiques pour empêcher aussi bien les simples compte-rendus de leurs péripéties que les fictions.
Beaucoup d’informations de nature judiciaire sont interdites de publication. La paraphrase est de rigueur.
Les délits de provocation ou d’apologie sont pour la plupart également visés dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ils sont pénalement réprimés, de façon générale, à la condition d’avoir étés suivis d'effet. En clair, il est nécessaire que l’écrit litigieux ait entraîné la commission d’actes prohibés.
Mais d’autres provocations spécifiques, comme celles relatives au vol, au meurtre, au pillage, à l’incendie, aux crimes et délits contre la sûreté de l’État, sont punies que leurs auteurs aient atteint ou non leur but. Il en est de même de l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou crimes et délits de collaboration avec l’ennemi.
Quant aux appels au boycott, ils n’ont jamais été en tant que tels, en droit français, des textes susceptibles d’être attaqués. Les entreprises visées choisissaient alors d’agir sur le terrain du droit des marques. Las, les jurisprudences Danone et Total, rendues en 2003 par la Cour d’appel de Paris, ont légitimé l’utilisation de ces signes distinctifs en théorie protégés par le droit de la propriété intellectuelle, lorsque le mouvement citoyen l’emportait sur une quelconque volonté de concurrence.
Voté en 1998, le Public Interest Disclosure Act britannique protège les whistleblowers contre un éventuel licenciement. Il en est plus ou moins de même en Afrique du Sud et en Nouvelle–Zélande.
Et, depuis 2007, le Canada dispose d’une loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. La même année, la question du statut des lanceurs d’alerte a été débattue au Grenelle de l'environnement. Six ans plus tard, rien n’a bougé au pays d’Emile Zola.