Après le passionnant Saturne, paru en 2014, qui s’attachait à la vie de Francisco de Goya, Noir sur blanc publie le deuxième roman traduit en français de Jacek Dehnel dans lequel l’écrivain polonais de 38 ans, également peintre et traducteur, aborde à nouveau sur un mode original très offensif et iconoclaste le monde de l’art et de la création.
Krivoklat est le nom du narrateur, un Autrichien déclaré fou, interné dans un centre psychiatrique, après avoir été condamné plusieurs fois pour des attentats à "l’acide sulfurique à quatre-vingt-seize pour cent" contre des chefs-d’œuvre de la peinture occidentale. Son témoignage en forme de justification prend la forme d’un monologue maniaque et ressassant car "le vandale à l’acide", comme l’ont surnommé les journaux, prend très à cœur ce qu’il appelle sa "tâche" qu’il voit comme une croisade vengeresse contre les imposteurs de l’art.
Hommage direct à Thomas Bernhard, la charge souvent férocement drôle est à la fois une critique des "banalités racoleuses" du discours sur les œuvres, une dénonciation du manque d’"hygiène de l’œil" de tous les intermédiaires et acteurs du milieu : conservateurs de musée au "goût déplorable", marchands d’art, experts, médecins spécialistes d’art-thérapie animant des ateliers "où d’imbéciles petits fonctionnaires souffrant de quelques troubles psychologiques insignifiants façonnent des chats en papier mâché, et des vieilles filles toquées des angelots en terre glaise". Sa détestation englobe dans une logorrhée ressassante la marchandisation des œuvres, les boutiques de musées et leurs produits dérivés, les visites audio-guidées avec leurs enregistrements qui "ressemblent toujours au mode d’emploi d’un lave-linge", mais aussi certains artistes comme Renoir, sa bête noire, et tous "les gens qui ont désappris à rencontrer les œuvres". Echappent au jugement provocateur et à la sagacité délirante de Krivoklat le patient Zeyetmayer, un prothésiste dentaire auteur de dessins "à l’incontestable qualité artistique", et la femme auprès de qui il a passé les onze années "les plus heureuses de [sa] vie". Entrez dans le paradoxe de Krivoklat : détruire les chefs-d’œuvre pour sauver la société. V. R.