Lee Lai, «Le goût de la nectarine» (Sarbacane) : Fruit défendu

Le goût de la nectarine - Photo © Sarbacane

Lee Lai, «Le goût de la nectarine» (Sarbacane) : Fruit défendu

La jeune Australienne Lee Lai développe dans ce premier roman graphique une puissante histoire d'amour et de dépression, entre deux femmes en conflit avec leur famille.

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Par Benjamin Roure
Créé le 30.01.2021 à 17h06

Les pieds bien ancrés dans le sol, Bron et Max font bloc. Toutes les deux, seules contre tous. Homme devenu femme, Bron traîne avec elle le poids du regard des autres, notamment celui de sa famille, chrétienne et rigide. Max, elle, se prend la tête avec sa sœur, mère célibataire au quotidien morne, qui lui reproche un manque de maturité. Et au milieu, il y a Nessie, gamine pleine de vie et d'innocence, révélatrice des maux des adultes.

Sur plus de 200 pages à l'épure graphique impressionnante, Lee Lai prend le temps de disséquer une relation amoureuse fusionnelle et exclusive, dans ses moindres détails - jusqu'à la rupture, puis la tentative de retour vers une famille moralisatrice, et enfin les retrouvailles maladroites. Quatre cases par page, invariablement, installent ce théâtre de l'intime qui raconte le couple, les relations avec une sœur, une mère, une nièce, mais aussi la force nécessaire pour assumer sa différence et l'isolement que ses choix engendrent. Max aime Bron comme elle est, mais Bron semble brisée de l'intérieur, jusqu'à agir de manière imprévisible, murée dans un silence brutal ou surexcitée comme un animal blessé. D'ailleurs, dans les moments de jeu avec la petite Nessie, Max et Bron deviennent des créatures dentues et à la peau creusée de sillons étranges, évoquant les tatouages maoris. L'animalité des deux héroïnes est une forme de catharsis, mais aussi un aveu d'impuissance et/ou de rejet à n'être que normales, selon l'injonction de la société. « Je sais qu'elle n'est pas l'incarnation de la parfaite santé mentale, avoue Max à propos de Bron. Mais si tout le monde dans ton entourage s'acharne à te dire que ce que tu es n'existe pas... ça ne t'aide pas. » Pour Max, aimer Bron était comme croquer dans une nectarine. Un fruit sucré et réconfortant, mais au noyau si dur et acéré qu'il laissera une cicatrice à celle qui mordra trop fort dedans.

Il en faut du talent pour se passer d'action et de rebondissements, et construire une si longue bande dessinée sur la seule base de scènes dialoguées, d'un trait fin faussement frêle et de lavis gris-bleu vibrants. Lee Lai, jeune auteure australienne basée au Canada, en regorge. Elle s'impose déjà comme une des révélations de l'année.

Lee Lai
Le goût de la nectarine Traduit de l'anglais (Australie) par Géraldine Chognard
Sarbacane
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 25 € ; 240 p.
ISBN: 9782377315598

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