Pour une fois on a vu des histoires érotiques d'à peu près tout pour faire vendre, des rues de Paris à la marine à voile - le titre n'est pas trompeur. Il est vraiment question de sexe, de pratiques sexuelles et même de déviances sexuelles dans ce livre très sérieux, élégamment écrit et qui fourmille d'anecdotes plus ou moins crues. Car c'est cela le talent de Jacques-Olivier Boudon, il sait faire revivre une époque à travers des textes. On l'a constaté avec l'excellent Plancher de Joachim (plus de 17 000 exemplaires chez Belin et Folio) dans lequel il révélait l'histoire d'un village français à la fin du XIXe siècle. Cet historien exigeant, professeur à la Sorbonne, président de l'Institut Napoléon, n'irait pas comme feu Gonzague Saint Bris déshabiller l'histoire de France, mais il n'hésite pas à observer ce qui transpire de l'alcôve, le chercheur s'arrêtant avec prudence au seuil de ce qui peut être dit en la matière.
À l'aide d'une solide documentation puisée dans les archives judiciaires et policières parisiennes, mais aussi en province, en s'appuyant sur des mémoires et des correspondances, Jacques-Olivier Boudon examine la vie sexuelle des Français après une Révolution qui renversa aussi les mœurs cul par-dessus tête. L'Empire apparaît d'ailleurs comme un retour à l'ordre moral après les turpitudes républicaines. Pour autant, les Français « ne font pas l'amour un bicorne vissé sur la tête ni la main glissée dans la veste ». Ils restent fidèles aux principes instaurés par l'Église avec la posture classique du missionnaire pour la reproduction et le respect de l'abstinence durant les périodes de l'Avent et du carême que l'on appelle les « temps clos ». Le libertinage est toléré à condition de rester confiné dans l'espace privé, tout comme pour l'homosexualité. Sinon, le Code civil rétrograde et misogyne vient sanctionner les contrevenants. Oh, pas tous ! Pour un viol sur une jeune fille de 14 ans un individu de 68 ans écope d'un an de prison et 500 francs d'amende, environ 1 200 €. Et l'abbé Courant qui pratiquait une sexualité alternative n'aura même pas à subir les assauts de la justice, lui qui les faisait subir à d'autres. Le Code pénal ne punissait pas tant que ça les vrais agresseurs.
Jacques-Olivier Boudon évoque aussi les sorciers qui ont le pouvoir de « dénouer l'aiguillette », la masturbation qualifiée de « jouissances mensongères », la prostitution et son cortège de gonorrhées, les relations extraconjugales, le nomadisme charnel, le sexe à l'armée, les viols comme arme de guerre dont ceux commis par les soldats français en Espagne. En fait, il a fouillé partout où il pouvait entrer, y compris chez l'empereur et dans sa famille avec un Napoléon pressé en tout, y compris en amour puisqu'il « se sait éjaculateur précoce ». Ce n'est donc pas le pire de l'Empire. Les femmes commencent timidement à s'émanciper en écrivant des livres cochons et la comtesse Félicité de Choisel-Meuse parle du plaisir féminin. Pourtant, « il est très difficile de vivre librement sa sexualité pour les femmes sous l'Empire ». Non, ce serait plutôt le retour à l'Empire du mâle...
Le sexe sous l'Empire
La librairie Vuibert
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 25 euros ; 216 p.
ISBN: 9782311102543