"Une minute d'attention aux choses, elles deviennent fantastiques et incompréhensibles ; dangereuses, menaçantes, irréelles. [...] Regardez cinq minutes une oreille, un chef de gare, un morceau de bois, une écrevisse, et vous deviendrez rapidement fous." Et c'est ainsi, entre métaphysique et pataphysique, par la qualité d'un regard de biais posé sur les choses, qu'Alexandre Vialatte est grand.
Pour s'en convaincre, rien de mieux que ce petit livre, Vialatte à La Montagne, quintessence de l'art vialattien, qui vient clore en beauté l'année Vialatte décrétée en 2011 par le groupe de presse Centre France (pour le compte duquel, et plus précisément du quotidien La Montagne, Alexandre Vialatte écrivit les vingt dernières années de sa vie près de 900 chroniques). Nul ne s'étonnera que cette Montagne-là puisse être considérée comme le sommet de l'oeuvre... On y retrouve 13 chroniques choisies tout au long de l'année par la rédaction et autant exhumées par un cénacle de vialattiens d'un jour, puis de toujours, d'Amélie Nothomb à Philippe Vandel en passant par Philippe Meyer, Pierre Jourde, Marie-Hélène Lafon, Pascal Ory ou Baptiste Liger. Ces épiphanies du quotidien sont une musique. Elle tiendrait de Satie, en a la mélancolie douce et l'humour noir. Tout rappelle ici que Vialatte est enfant de Kafka (dont il fut le chantre en France, autant que le traducteur). Son bestiaire est volontiers fantastique, et rien dans son univers, jamais, ne coule de source ; si ce n'est la langue, merveilleuse de fluidité et de souplesse. Le réel ou ce qui en tient lieu est constamment interrogé, mis en doute et en difficulté. Et, partant de là, révélé, comme seuls peuvent le faire les mots de l'enfance. Et c'est ainsi qu'en 2011, quarante ans après sa mort, Vialatte joue encore.