21 janvier > Essai France

En 1989 naît le World Wide Web. Conçu par le Britannique Tim Berners-Lee, l’Hypertext Transfer Protocol, protocole de transfert de données uniques ou HTPP, permet à Internet d’être accessible à tous et donne à chacun la possibilité d’être connecté et d’échanger textes, images, son ou vidéo à l’envi gratuitement. C’est une révolution. Plus qu’une révolution, c’est un changement d’ère : il y a bel et bien un "avant www" et un "après www". Mais de quelle ère s’agit-il et "jusqu’où Internet changera-t-il nos vies ?" s’interroge Alexandre Lacroix, essayiste, romancier et directeur de la rédaction de Philosophie Magazine dans Ce qui nous relie.

L’auteur de ce stimulant essai mène l’enquête sur le terrain à travers trois "héros" tels que définis par Hegel, à savoir comme des "grands hommes" qui "n’ont pas puisé leurs fins et leur vocation dans le système paisible et ordonné du régime" et qui "ont la capacité de saisir et de mettre en acte, avant leurs semblables, des idées neuves". Ils ont ici pour nom "Julian" [Assange], le fondateur de Wikileaks recherché par les Etats-Unis pour avoir divulgué des câbles diplomatiques "top secret" ; "Philippe", un truther, "théoricien du complot", ex-commando de l’armée française reclus en Amérique du Sud ; "Peter" [Thiel], le milliardaire américain "libertarien" (ultralibéral anti-Etat) et transhumaniste, fondateur du site PayPal. Et Alexandre Lacroix de nous embarquer sur les traces des uns et des autres, dans la campagne anglaise où Assange est hébergé par un hobereau partisan du lanceur d’alertes australien, à Asunción, au Paraguay, où le conspirationniste français s’est terré, en Californie "où les gens s’efforcent de convertir les rêves en réalité" et où est sise la Thiel Foundation ayant pour but de "promouvoir la liberté sous toutes ses formes".

Mêlant l’exposition des thèses du trio à des impressions personnelles et des souvenirs privés, l’auteur de ce triptyque de portraits assume sa subjectivité et sa partialité. On sent le doute le gagner concernant le génial paranoïaque qu’est Philippe. Selon ce dernier, le monde n’est que complot : de l’attentat du 11-Septembre 2011 au tsunami causé par l’armée américaine et ses perturbateurs de climat, sans parler du Bilderberg, ce forum de riches qui fait de la représentation démocratique une mascarade ou des sociétés secrètes telles que les Skull and Bones, dont font partie les Bush père et fils, ou le Bohemian Grove aux rites satano-druidiques. Alexandre Lacroix juge ce grand homme-là comme atteint d’un certain "fétichisme de l’information". Face à "la connexion de l’homme-machine" et autres possibles "port[s] de clé USB dans la nuque", il a encore du mal et garde une vieille nostalgie du dualisme nature-culture.

L’essayiste rend en revanche justice à Julian Assange parfois caricaturé comme le champion d’une transparence totale alors que pour celui qui a commencé comme simple hacker libertaire s’érigeant contre Big Brother, c’est surtout transparence pour les grands (Etats, multinationales) mais respect absolu de la vie privée pour les petits, le citoyen ordinaire.

Sean J. Rose

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