C’est une histoire de funérailles et de deuil. Il y est question de désir de mort, d’ectoplasmes, de tête humaine prétendument conservée dans un congélateur. Mais le premier roman de l’Islandaise Soffia Bjarnadottir n’est ni un polar des glaces, ni même un livre morbide. J’ai toujours ton cœur avec moi flotte suspendu entre deux mondes, entre présent et au-delà, entre naturel et surnaturel, entre les vivants et les morts.
La vivante en cet "hiver 2018", lorsque "la réalité se mua en désillusion", c’est Hildur, la narratrice. La morte, sa mère Siggy. "Ma maman qui jamais n’endossa le rôle de mère." La fille quitte la Finlande et le site de fouilles où elle travaillait pour rejoindre à l’ouest de l’Islande la minuscule île de Flatey, le dernier domicile de cette génitrice qu’elle ne voyait plus depuis longtemps. Là voilà héritière d’une petite cabane, se remémorant cette Siggy aux cheveux orange, "à la fois enfant innocente et figure ancestrale", marginale et erratique, devenue avec le temps "dame à chats", une femme à la vie simple et sobre mais "ivre de naissance", "touareg solitaire", éternelle vagabonde. Celle qui allongée tout habillée dans une baignoire, fumant et écoutant Johnny Cash, accueillait d’un "Je suis encore morte" sa fillette de retour de l’école. "Je ne suis qu’une spectatrice tourbillonnante aux yeux rouges, à la peau blanche et à l’âme bleu roche", pense encore des années plus tard Hildur, la fille qui ne peut pas pleurer. Flottante et instable, elle aussi. Car l’étrangeté fantasque de la mère semble avoir contaminé l’endeuillée et ses souvenirs, traversés d’une folie décalée. "Nous sommes tous bipolaires", dit-elle.
Dans une atmosphère lynchienne, amnésies et hallucinations baignent dans une spiritualité animiste qui prête conscience aux mouches et aux araignées, aux phoques et aux cerfs. Et une poésie symboliste, périphérique et lunaire, imprègne ce requiem islandais.
Véronique Rossignol