- Devenir libraire au VIIe siècle
« L’acce?s a? la mai?trise de libraire, qui donne le droit de tenir une librairie, est long et difficile si l’on n’est pas fils de mai?tre. A? Paris, le re?glement de 1649, puis celui du 28 fe?vrier 1723 (qui sera e?tendu a? la province en mars 1744), exigent quatre ans d’apprentissage (en sont dispense?s les fils de mai?tres) et au moins trois anne?es de compagnonnage. Le compagnon parcourt le pays de ville en ville pour parfaire sa formation et, s’il a 20 ans accomplis, peut ensuite se faire recevoir mai?tre apre?s avoir subi un examen devant la chambre syndicale des imprimeurs et libraires. Le 20 mars 1782, Alain Le Fournier doit ainsi re?pondre a? huit questions devant la chambre syndicale de Rennes : Quels sont les livres prohibe?s et deffendus ? A? quoi reconnai?t-on un livre contrefait de l’e?dition originale ? Quelle est la forme des livres et de combien de pages ont ses feuilles suivant les formats? Qu’est-ce que la bibliomanie? Qu’elle est la connoissance de la bibliographie? Quelles sont les belles e?ditions connues en librairie ancienne et moderne ? A quoy doit s’attacher principalement un libraire dans la conduitte de son commerce ? Quelles sont les qualite?s d’un bon libraire ? « Ayant satisfait avec sagacite? a? toutes les questions qui lui ont e?te? faites », il est autorise? a? ouvrir une librairie a? Brest apre?s avoir fourni les pie?ces requises. Selon le re?glement promulgue? par Louis XIV en 1649, les aspirants a? l’imprimerie et a? la librairie doivent en effet e?tre franc?ais, catholiques, de bonnes vie et mœurs, et sont tenus de fournir des certificats prouvant qu’ils sont « congrus » en latin et qu’ils savent lire le grec. »
- Représentant et libraire : les colporteurs aux XVIIe et XVIIIe
« Apparus d’abord dans les villes, les colporteurs vont, a? la fin du XVIIe sie?cle et en plus grand nombre au XVIIIe sie?cle, parcourir les campagnes. Charge?s d’une hotte, d’une besace ou d’une boi?te en bois place?e en bandoulie?re, ils sont souvent la seule librairie a? laquelle les populations villageoises ont acce?s. Dans les provinces, e?crit Malesherbes, « tout est rempli de marchands vagabonds, qui e?talent des livres dans les foires, les marche?s, les rues des petites villes. Ils vendent sur les grands chemins ; ils arrivent dans les cha?teaux, et y e?talent leurs marchandises». Il existe un colportage re?gional, mais aussi un colportage a? grande distance. Certains colporteurs parcourent a? pied des distances conside?rables, tel ce Guillaume Guenin, marchand imagier, originaire de Cametours en Normandie, qui meurt a? Besanc?on en 1756 pendant sa tourne?e. Ils se re?approvisionnent d’un imprimeur-libraire a? l’autre, achetant a? cre?dit des livres qu’ils remboursent au fur et a? mesure de leurs ventes. Certains font le colportage pendant la belle saison seulement, d’autres colportent toute l’anne?e comme les Chamagnons, habitants du village lorrain de Chamagne. »
- Les best-sellers au XIXe
« Martyn Lyons, qui a analyse? les « best-sellers » de l’e?dition entre 1811 et 1850, a montre? que les trois titres les plus vendus sur toute cette pe?riode sont les Fables de La Fontaine, le Cate?chisme historique de Fleury et Te?le?maque de Fe?nelon, destine?s a? l’instruction de la jeunesse. Le romantisme apparai?t donc « comme la cre?te fugitive d’une vague sur un oce?an de classicisme et de catholicisme ». Si les Chansonsde Pierre-Jean de Be?ranger connaissent un grand succe?s (avec un tirage estime? a? au moins 200 000 exemplaires entre 1826 et 1835), les ventes des auteurs contemporains sont souvent modestes. Notre-Dame de Paris connai?t huit e?ditions entre 1831 et 1836, mais pour un tirage global de 11000-14000 exemplaires; La Peau de chagrin de Balzac, publie? la me?me anne?e, ne de?passe pas les 20 000 exemplaires avant 1850 ; les romans champe?tres de George Sand ne sont tire?s qu’a? 1500-2000 exemplaires en 1850; quant au Rouge et le Noir de Stendhal (1830), les premie?re et deuxie?me e?ditions se re?duisent a? 750 exemplaires."
- L’apparition des offices
« Ce n’est qu’apre?s la suppression du brevet que les e?diteurs prennent l’habitude d’envoyer aux petits points de vente un choix de livres « en office », ce que les libraires acceptent peu a? peu. En 1889, le Cercle de la Librairie charge une commission de codifier « les usages les plus constants de la librairie ». Ces « instructions sur les usages de la librairie franc?aise », publie?es en janvier 1891 dans la Bibliographie de la France, mentionnent les « envois d’office », lesquels « ne sont pas conside?re?s comme ventes fermes et peuvent e?tre retourne?s a? l’e?diteur dans les de?lais ordinaires » – les frais de port aller et retour e?tant a? la charge du libraire. »
- Une librairie au début du XXe siècle
« Toutes les librairies sont prolonge?es par une arrie?re-boutique plus ou moins vaste, avec des murs tapisse?s de rayonnages en bois blanc peint, qui sert de re?serve aux ouvrages en double, aux commandes, aux livres re?cemment rec?us et a? la pre?paration des retours. Henri Desmars a rappele? qu’a? cette e?poque les libraires ne pouvaient lire ou consulter tre?s aise?ment les ouvrages rec?us, les livres n’e?tant pas coupe?s. « Si le libraire les de?coupait entie?rement, il ne pouvait plus les retourner a? l’e?diteur. Alors, pour e?viter ce refus, il devait prendre une lame de rasoir, de?couper les tranches exte?rieures, plus rarement les tranches de pied – ou alors dans le cas de cahiers tre?s e?pais –, mais surtout ne pas toucher aux tranches de te?te, car celles-ci de?coupe?es auraient attire? l’attention des employe?s charge?s des retours chez l’e?diteur qui aurait refuse? imme?diatement le livre. Cette ope?ration re?ussie, la lecture n’en restait pas moins acrobatique car il fallait glisser un œil dans le haut des pages non de?tache?es et pour cela le libraire devait se contorsionner et incliner le livre pour avoir la lecture comple?te du texte"."
- Les libraires se regroupent en syndicats régionaux
« La suppression du brevet intervient au terme d’une phase d’expansion de la librairie. La fin du XIXe sie?cle est en effet marque?e par une crise qui touche tout le secteur du livre. La multiplication des collections de livres a? bas prix a de?stabilise? le marche?. Les libraires voient leurs marges rogne?es, tandis que les livres relie?s et les beaux-livres a? 7,50 francs se vendent plus difficilement. De surcroi?t, les tirages e?leve?s, qui avaient permis de re?duire le cou?t du livre, ont eu tendance a? ge?ne?rer une surproduction parfois difficile a? e?couler pour les libraires. Ces diffe?rents facteurs, conjugue?s a? la crise financie?re qui se?vit a? partir de 1891 et dure jusqu’a? la Grande Guerre, occasionnent de nombreuses faillites : ce sont plus de 2 000 librairies qui disparaissent entre 1880 et 1910 (leur nombre passe de plus de 7 000 a? 5 000 environ).
La crise conduit les « vrais » libraires a? s’organiser afin de de?fendre leurs inte?re?ts et faire entendre leurs revendications. La loi Waldeck-Rousseau (1884), qui autorise la formation de syndicats professionnels en abrogeant la loi Le Chapelier (1791), permet aux libraires de se regrouper en syndicats re?gionaux. Le mouvement nai?t a? Lyon a? l’initiative d’Antoine Roux. Le 13 octobre 1891, ce dernier envoie a? tous les libraires de France une circulaire qui commence ainsi : « En pre?sence de la crise que traverse en ce moment le commerce de la librairie, [vingt et un libraires lyonnais] ont de?cide? de faire un appel a? tous les libraires de?taillants de France, pour e?tablir entre eux une entente analogue a? celle qui existe, sous forme de syndicat, en Allemagne et en Suisse. » Il les invite en outre a? faire connai?tre leur pre?fe?rence entre un syndicat national unique et des syndicats re?gionaux unis dans une fe?de?ration nationale. Plus de huit cents libraires lui re?pondent en se prononc?ant presque a? l’unanimite? pour une organisation re?gionale. Le 17 janvier 1892, le premier syndicat est cre?e? a? Lyon. »
- Le premier prix littéraire des libraires
« En 1955 est cre?e? le prix des Libraires (dont le premier laure?at est Michel de Saint-Pierre pour Les Aristocrates). Au-dela? de son inte?re?t commercial, le prix des Libraires est un moyen d’apporter « un surcroi?t de prestige a? la profession », de faire reconnai?tre son ro?le de prescripteur. « Lisez-le pour pouvoir en parler efficacement, exposez-le largement dans vos vitrines, laissez-le longtemps sur le plat : qu’il soit en vue, avec sa bande attirante, et dites bien autour de vous que c’est le Prix de la loyaute? et de l’inde?pendance – que nulle consi- de?ration de chapelle ou de maison n’en de?termine le choix », s’enflamme le pre?sident de la Chambre syndicale Jean Pulby. Le prix doit e?tre aussi une alternative aux grands prix litte?raires de l’automne qui conservent tout leur prestige et sont un e?ve?nement important dans la vie des libraires, notamment ceux de Paris qui rivalisent alors de vitesse pour offrir a? leur cliente?le les ouvrages prime?s. »
- Les années 80, le prix unique du livre
« La loi relative au prix du livre est vote?e a? la quasi-unanimite? le 10 aou?t 1981. A? partir du 1er janvier 1982, l’e?diteur fixera le prix de vente du livre et la remise accorde?e aux de?taillants devra prendre en compte la qualite? des services rendus par ces derniers en faveur de la diffusion du livre. De son co?te?, le de?taillant ne pourra pratiquer un rabais supe?rieur a? 5 % – limitation qui ne s’appliquera pas aux collectivite?s locales, e?tablissements d’enseignement, bibliothe?ques, syndicats repre?sentatifs, comite?s d’entreprise, associations qui ache?tent des livres scolaires – et il devra offrir gratuitement le service de commande a? l’unite?. Les livres ne pourront e?tre solde?s que deux ans apre?s leur parution et si le dernier approvisionnement remonte a? plus de six mois. La loi pre?voit toutefois que les clubs pourront vendre les livres par courtage, correspondance ou abonnement, a? un prix infe?rieur, neuf mois apre?s la premie?re e?dition. »
- La Fnac vs le riche réseau de libraires indépendantes
« Dans une note de 1986, Je?ro?me Lindon cite l’exemple du premier roman de Jean-Philippe Toussaint. « Le 1er septembre 1985, la valeur marchande de La Salle de bain est e?gale a? ze?ro. Huit mois plus tard – sans que l’auteur soit passe? a? la te?le?vision et sans que le livre ait e?te? couronne? par le moindre prix litte?raire –, les ventes atteignent 50 000 exemplaires et l’ouvrage est traduit ou en voie de traduction dans huit langues. » Alors que l’office global de La Salle de bain se montait a? 2 110 exemplaires, seuls 129 ont e?te? mis en place dans les quinze Fnac de France et de Belgique. « La participation de la Fnac aux risques de l’e?dition » peut donc e?tre e?value?e a? 6 %. « Le reste, soit 94 %, est a? porter presque exclusivement au cre?dit des librairies traditionnelles. » Dans Livres Hebdo de novembre 2006, Christine Ferrand fait le me?me constat en observant que : « Plus de trois cents romans de la rentre?e litte?raire ne sont apparus dans aucun me?dia. Autant dire que ce serait trois cents livres passe?s a? la trappe, si les libraires n’e?taient pas la? pour leur donner leur chance. » Seuls quatre des dix romans du palmare?s de Livres Hebdo ont fait l’objet d’une large me?diatisation. « Pour l’e?dition, la librairie, et en particulier celle qui ope?re des choix et conseille ses clients, demeure donc une vitrine irremplac?able.»
- L’arrivée de l’informatique
« L’ordinateur vient ainsi supprimer la fiche manuscrite (la « fiche verte ») que l’on glissait dans les livres en vente et qui permettait au libraire de retracer l’historique de chaque titre et par la? de ge?rer le re?assort. Les donne?es informatiques sont plus pre?cises et permettent de ce fait une meilleure gestion des stocks. Selon E?ric Hardin (Le Pave? dans la mare et Le Pave? du canal), fervent partisan de l’informatisation, « le travail devient plus inte?ressant, plus valorisant. Connai?tre l’historique des ventes permet par exemple d’anticiper les variations et donc de conserver en magasin des stocks moins importants». Les libraires informatise?s constatent aussi un gain de temps dans le traitement des ope?rations logistiques et commerciales. Pourtant, l’informatisation des librairies ne se fait que lentement. Au printemps 1995, ce sont 600 d’entre elles qui sont informatise?es, contre 400 deux ans plus to?t. Les librairies non informatise?es sont, pour la plupart, de petites librairies. De fac?on plus surprenante, plusieurs grandes librairies tardent elles aussi a? s’e?quiper, me?me la Fnac (qui n’informatise ses librairies qu’en 1989-1990). »