Si Baudelaire revenait dans le Paris d’aujourd’hui, il serait clochard, épave, zombi, pas très vivant. Il faut dire qu’il aurait 149 ans… C’est l’hypothèse retenue par Eric Chauvier pour ce bref récit qui secoue pas mal, quelquefois à la limite du haut-le-cœur, mais avec une écriture au scalpel et une réflexion tout aussi chirurgicale sur la ville.
Le vagabond est livré au mépris des passants, à leur indifférence tenace. Ils sont plus sollicités par leurs téléphones que par la vie. Au mitan du XIXe siècle, Baudelaire assiste à la transformation de la ville en cité. La modernité et ses rythmes, il les a mis en vers comme en prose. La redingote de 1855 s’est transformée en loques, son âme est désormais au supplice et, monstre dégoûtant, il se rappelle son œuvre immense, lorsqu’il déambulait à la recherche d’un art, celui de jouir de la foule. "Cette théorie du flâneur, le plus grand poète français l’a composée dans une langue qu’aucune sociologie n’égalera jamais en pouvoir d’analyse." Marquetée de citations glorieuses du poète, Le revenant décrit une saison en enfer. Son atmosphère fait plus penser aux Chants de Maldoror de Lautréamont par ses outrances qu’au Spleen de Paris. Dans cette chute quasi christique, le cœur du poète n’est pas seulement mis à nu, il est littéralement transpercé.
Dans cette narration nimbée de ce brouillard sale et jaune, l’anthropologue, qui enseigne à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles, montre sa connaissance de la ville et du poète, de la condition urbaine dans la littérature. De ces fleurs maladives, il nous fait respirer les senteurs sublimes et nocives. Laurent Lemire