4 septembre > essai Suisse

On dit « bête comme ses pieds », on devrait plutôt dire « stupide comme la mort ». L’absurde mort qui frappe et rend coi, interdit devant la béance du deuil. 13 mars 2013 à Sierre, en Suisse, accident d’autocar : 28 morts, dont 22 enfants. Matthieu Mégevand, comme tout le monde face à la tragédie, veut comprendre. Le chauffeur avait-il bu ? N’avait-il pas assez dormi la veille ? Apparemment non. Agé de 34 ans, il était apprécié par son entreprise et ses collègues. L’auteur des Deux aveugles de Jéricho (L’Age d’homme, 2011) retrace les ultimes gestes de Geert Michiels. « Celui-ci […] démarre et accélère jusqu’à 98 km/h en soixante-huit secondes, puis continue jusqu’à 105 km/h pendant treize secondes […]. Trente-six secondes plus tard, il heurte le côté droit de la bordure et se fracasse contre le mur en béton de la niche de secours. Il n’aura roulé que 2 222 mètres en exactement deux minutes. » La froideur des faits ne pallie pas la douleur de la perte. La vérité crue est d’autant plus scandaleuse que rien n’explique cet accident. Toutes les précautions avaient beau avoir été prises, le drame eut lieu, et les experts en sécurité routière n’offrent nulle consolation : « A partir d’un certain moment, il n’y a strictement rien à faire du point de vue de la sécurité ; le corps humain est le maillon faible, c’est tout. » Aucune logique ne saurait éluder l’aporie du passage de l’être au néant, le verbe est impuissant. Ce qui s’est passé à Sierre est qualifié d’« innommable », de « sans mots »… Pourtant l’écrivain décide de mener l’enquête, par le biais métaphysique. Auprès d’un philosophe du langage, tendance philosophie analytique, il obtient une réponse dont la sécheresse est désespérante : « Entre naissance et mort, on peut avoir du bon temps et du mauvais temps, mais il n’y a aucun mal dans le monde. Ni aucun bien d’ailleurs. » Mais l’homme de lettres, donc des mots, ne s’avoue pas vaincu. Mégevand poursuit ses lectures : Wittgenstein, Hannah Arendt, Quignard…, et par ses tâtonnements esquisse sa propre « réponse à Job », une réflexion sensible sur la nature du mal. S. J. R.

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