Les livres de Nathalie Léger sont rares, à peine trois en douze ans. Ces récits au charme prégnant, qui avancent comme des errances, des tentatives d’élucidation par le contournement et le doute, partent sur les traces de femmes à la poursuite d’elles-mêmes: l’actrice et cinéaste Barbara Loden, auteure et interprète du film culte Wanda dans Supplément à la vie de Barbara Loden (P.O.L, disponible en Folio), prix du Livre Inter 2012; la comtesse de Castiglione, courtisane du second Empire dans L’exposition (P.O.L, 2008).
Dans La robe blanche, Nathalie Léger retrouve cette position d’enquêtrice jamais certaine de ce qu’elle cherche, de ce qu’elle trouve. "Le sujet vacillant de [sa] recherche" est ici le geste de l’artiste italienne Pippa Bacca, partie de Milan en robe de mariée pour rejoindre Jérusalem en auto-stop avec le projet de traverser l’est de l’Europe pour plaider la paix et la confiance. Rien de moins que "sauver le monde". Elle a été assassinée près d’Istanbul, le 31 mars 2008.
Dans cette enquête vient s’immiscer une requête de sa mère, personnage déjà croisé dans les deux précédents livres. C’est une demande de justice. Cette mère, délaissée et mise à terre par un jugement de divorce prononcé plus de quarante ans plus tôt, ressort le dossier et exhorte sa fille à écrire. "Il suffirait que tu sois mon sismographe, tu n’auras pas grand-chose à faire, capter et décrire, simplement décrire, recueillir l’onde d’une perturbation lointaine avant qu’elle ne se perde dans la poussière, c’est peu pour toi et c’est beaucoup pour moi", plaide-t-elle.
Nathalie Léger observe en parallèle ces deux mariées et leur robe, les deux violences subies, une grande et une petite, une exposée et une invisible: l’issue fatale d’une performance au sens définitivement insondable et l’humiliation d’une épouse sans nom, une tragédie extraordinaire et un "malheur banal". Elle explore le désir de comprendre et l’impuissance à y parvenir. Les évitements voire les demi-tours. Comment elle bute, se défausse, se laisse parfois engourdir dans une léthargie paralysante.
Qu’est-ce qu’une performance?, interroge la mère. "La performance c’est quelque chose qui arrive ou, mieux, c’est quelqu’un qui est là", répond la fille qui convoque les artistes qui ont pris le risque de brouiller les frontières entre l’art et la vie, de Marina Abramovic à Faith Wilding, de Carolee Schneemann à Marie-Ange Guilleminot en passant par Niki de Saint Phalle et Jana Sterbak. "Ce n’est pas son intention qui m’intéresse ni la grandeur de son projet ou sa candeur, sa grâce ou sa bêtise, c’est qu’elle ait voulu par son voyage réparer quelque chose de démesuré et qu’elle n’y soit pas arrivée", essaie-t-elle de préciser.
La fascination mélancolique de Nathalie Léger pour les "gestes ratés" fait écho à la difficulté d’accomplir la mission justicière que lui confie sa mère. Cette femme qui l’accule avec cette vertigineuse question: "Pourquoi crois-tu que tu écrives si ce n’est pour rendre justice ?" De fait, La robe blanche est là, offerte en indispensable réparation. V. R.