25 AVRIL - BD Belgique

Photo FRANÇOIS SCHUITEN/CASTERMAN

Il y a, dans La douce, un bavard et deux muettes. Le bavard, c'est Léon Van Bel, un cheminot quinquagénaire proche de la retraite, aux poumons nécrosés. Machiniste-mécanicien sur la locomotive 12.004, il est intarissable sur "la 12", sa "douce", avec laquelle il fait corps depuis des décennies. Les muettes, ce sont cette impressionnante machine aux roues de deux mètres de diamètre et une mystérieuse jeune femme, Elya, qui va croiser fortuitement le chemin de Van Bel.

"Carénage aérodynamique, bouclier fendu, livrée verte et bandeaux chamois", la 12 se contente de siffler et de souffler en crachant de la fumée. Mais elle est menacée par la concurrence du téléphérique électrique, alors qu'une inexplicable montée des eaux engloutit peu à peu les voies ferrées. Elya, fille de cheminots décédés, est muette de naissance, mais elle bouge, danse, vit comme une prolongation humaine de la locomotive. Et quand Léon Van Bel, après avoir vainement tenté de la subtiliser, se lance à la poursuite de sa "douce" envoyée à la casse, elle l'accompagne et l'aide.

Inspiré à François Schuiten par un projet scénographique pour un musée ferroviaire, La douce est, après plus de trente ans dans la bande dessinée, son premier album solo. Il n'est pas si éloigné de l'univers des cités obscures qu'il bâtit avec le scénariste Benoît Peeters (Les murailles de Samaris, La fièvre d'Urbicande, La tour, La route d'Armilia, Brüsel...). On y retrouve la fascination pour la révolution industrielle, les ambivalences du progrès ainsi que ces territoires étranges et insaisissables où l'homme tente d'imprimer sa marque avec des villes improbables reliées par des voies de communication incertaines. Mais ceux-ci sont cette fois moins un sujet qu'un décor dans un récit où l'humain reprend ses droits, fût-ce de manière désespérée. Dans le sombre sillage de la 12, magnifié par un formidable travail sur les perspectives, le dessinateur trace à partir de la relation entre le vieux cheminot et la jeune muette une belle parabole sur la transmission.

Les dernières
actualités