Une hostellerie de troisième zone, une adresse de la Securitate, "un bordel socialiste", un foyer pour les étudiants…, l’Hôtel Universal a été tout ça après s’être appelé "l’auberge Teodoraki" du nom de l’un des trois commerçants roumains qui se sont associés en 1849 pour construire cet établissement au cœur de Bucarest. L’Hôtel Universal, sa cave boueuse, sa cour, ses mansardes, ses grandes chambres, ses pièces minuscules à l’accès condamné et ses drôles de pensionnaires-clients. Maia, une infirmière née en 1967 et arrivée de Transylvanie, s’est installée là quand au début des années 1990, après la chute du régime des Ceausescu, l’établissement nationalisé devient une sorte de cité universitaire gérée par la Ligue des étudiants. Maia y occupe une chambre au troisième et dernier étage et, somnambule, finit souvent ses nuits sur le balcon. Il y a aussi Pavel Dreptu, le professeur de langues anciennes marié plusieurs fois et porté sur l’alcool, le Mohican, un étudiant de maths en fauteuil roulant qui vit au rez-de-chaussée et chez qui sont organisées des fêtes ouvertes "qui tourn[ent] toujours mal", Aliona la cartomancienne qui tire les tarots, Georges au visage brûlé et sa compagne finlandaise, "Walkyrie nymphomane"… Avant de venir y vivre, Maia a d’abord connu l’Universal quand elle était adolescente, à travers les récits que sa grand-mère "Maria la grande" lui livrait tout en confectionnant sa confiture de roses selon une recette traditionnelle héritée de sa propre aïeule, la Bulgare Rada, une jeune paysanne voyante installée à l’hôtel cent ans plus tôt par le confiseur voyageur Vasile Capsa.
Ce premier roman de la critique littéraire Simona Sora, largement salué à sa sortie en 2012, avance à la manière des souvenirs reconstitués, par recoupements de témoignages pour recréer une réalité insaisissable, une mémoire des lieux trouée et parcellaire. Dans le parfum capiteux des pétales de roses confits, l’odeur des secrets, Hôtel Universal magnifie les destins d’une lignée de femmes fortes, guérisseuses chacune à sa façon, un peu sorcières, des héroïnes "merveilleuses", c’est-à-dire, selon la définition de Maria la grande, "sensibles au merveilleux". Véronique Rossignol