A la suite de quelques happy few - dont Philippe Sollers, nous y reviendrons -, Michel Crépu s'est attelé à une tâche herculéenne et bien éloignée, en apparence, des préoccupations d'aujourd'hui : faire redécouvrir, lire ou relire Chateaubriand. François René, vicomte de, né à Saint-Malo en 1768, mort à Paris en 1848. Figé pour l'éternité, grâce à MM. Lagarde et Michard, dans sa posture de "romantique", enterré, au son des supposées "grandes orgues" de ses Mémoires d'outre-tombe, sur son rocher du Grand Bé, et momifié dans les pages de son Génie du christianisme. La modestie n'était pas, loin s'en faut, l'une des vertus cardinales de notre homme. Mais il en possédait tant d'autres.
C'est peu de dire que Crépu dépoussière, il passe son héros au Kärcher de la modernité. Sous sa plume, aussi alerte qu'érudite, René, sujet d'un petit roman "édifiant et chrétien" paru en 1805, devient "le James Dean du XIXe siècle commençant", tandis que Bonaparte, le contemporain capital, celui par rapport à qui tous les autres durent se situer - Chateaubriand y compris et surtout -, était une espèce de "punk", rêvant de semer, lui aussi et avant l'heure, l'anarchy in the UK !
L'écrivain, lui, dont les trois préoccupations majeures étaient la littérature, la politique et la religion (à quoi il convient d'ajouter les femmes), fut considéré comme un "anarchiste" par les ultras puis les maurrassiens, détesté par les "progressistes", comme Michelet, et toujours mal vu par son propre parti. En 1816, dans La monarchie selon la Charte, il donne des leçons de droit constitutionnel à Louis XVIII, dont il était le ministre d'Etat, chargé de l'Intérieur, concluant son livre par un provocant : "Vive le roi quand même !" L'ouvrage est saisi, son auteur renvoyé, exclu de la Chambre des pairs. Déjà, en 1804, à cause de l'assassinat du duc d'Enghien, il avait démissionné de ses fonctions diplomatiques et rompu définitivement avec le futur Napoléon Ier. Quoique ambitieux, Chateaubriand avait trop de panache, de sens de l'honneur, pour devenir un Talleyrand. Ce pourquoi il n'a pas mené une très grande carrière politique. Mais la littérature a compensé.
Il y a un peu du de Gaulle chez cet homme qui, selon Crépu, fut le prophète d'un tournant de notre histoire, du début d'une décadence politique et morale que nous subissons chaque jour. Chateaubriand, mais sans les excès ridicules d'un Barbey d'Aurevilly, incarne la fin de l'âge noble, de la chevalerie, face à un monde de nains cynique et matérialiste. Malraux, l'écrivain du XXe siècle le plus fasciné par Napoléon, note Crépu, fera la même analyse.
En marge de la superficialité de notre époque mais au coeur de ses vraies problématiques, Michel Crépu a composé un livre brillant, "sollersien", où Proust, Kafka, Céline et Barthes sont les références majeures, où il est démontré que les modernes ne sont pas ceux que l'on croit, et où l'auteur s'amuse même avec La Revue des Deux Mondes, qu'il dirige. La revue publia Chateaubriand, bien sûr, mais comme à contrecoeur. Trop subversif ?