Dans le monde futuriste de Thalia, la narratrice de 18 ans, le pouvoir appartient aux plus de 40 ans. La vieillesse est un statut envié, la jeunesse, une malédiction. "Je ne peux pas espérer un emploi avant une vingtaine d’années", se lamente-t-elle. En attendant, pour cette fille unique dont le père dirige une usine de cosmétiques et dont la mère, à 50 ans, "a enfin atteint le début de l’apogée", il s’agit d’accélérer la venue de la maturité. Elle qui se teint déjà les cheveux en gris est à l’âge où elle peut commencer à subir les premières séances d’injections destinées à assurer la belle peau patinée, les rides harmonieuses, "ce vieillissement naturel et prématuré" qui assure désormais les meilleures places sur le marché du travail et au sein d’une société où l’on peut vivre jusqu’à presque 200 ans.
Etudiante en biologie, discipline d’excellence de ce futur-là, mais passionnée d’histoire, un enseignement sous contrôle qui a disparu des programmes, la narratrice, curieuse de "l’époque ancienne" que ses parents jugent "décadente", dispose de passes pour accéder à la bibliothèque de l’entreprise paternelle où est archivée "toute l’histoire de la peau", et à "l’ancienne bibliothèque de la ville" où elle consulte en cachette un "livre en papier" dans lequel une femme du passé témoigne de son recours à la chirurgie esthétique après avoir été mise au ban de son agence de communication. La jeune fille rencontre aussi un étudiant en médecine de 25 ans, un rebelle qui refuse le culte du vieillisme et fomente une révolte contre le pouvoir des vieux.
Dans cette fable d’anticipation simple et efficace, Valérie Clo, auteure de Plein soleil (Buchet-Chastel, 2011) et des Gosses (Buchet-Chastel, 2013, repris au Livre de poche, 2014), tend à notre société un miroir inversé qui reflète autant la relativité des diktats physiques que l’éternelle actualité de la tyrannie des apparences. V. R.