1ER FÉVRIER - ESSAI France

Nicolas Grimaldi- Photo JEAN-LUC BERTINI/GRASSET

La période contemporaine a ceci de particulier qu'elle produit de la mousse. Mais sa vacuité n'a rien d'un vide propice à la contemplation, pas plus que son indifférence ne s'apparente à l'équanimité des stoïques. Tout l'inverse ! Le relativisme de l'ère postmoderne est hyperactif, son nihilisme bouillonnant. Dans un essai sous forme de récit de vie (l'auteur de L'effervescence du vide n'avait rien écrit d'aussi personnel), Nicolas Grimaldi pose un long regard sur l'époque et son métier - professeur de philosophie - où l'effarement le dispute à la mélancolie : "Tout [ce] qui suit, avoue-t-il d'emblée, n'a qu'un but : celui de comprendre comment j'ai pu devenir à ce point étranger au monde dans lequel je vis." La conscience, cette réflexivité qui fait nous rendre compte de l'écart entre notre désir et le réel, la tension permanente entre la matérialité du présent et l'idéalité de l'avenir, bref la condition humaine que Pascal résume en trois mots : "inconstance, ennui, inquiétude" est au coeur de l'oeuvre du philosophe.

En mai 1968, Grimaldi a la trentaine et enseigne déjà. Ce "soulèvement qui mettrait fin à l'absurde prétention d'institutions toutes plus dérisoires et vermoulues les unes que les autres", celui qui allait s'encarter au PS l'avait pourtant espéré. Mais ce qui se déroula fut "le pire de ce que je détestais" : "A l'ancienne arrogance je voyais s'en substituer une autre, celle de l'ignorance. [...] Au cynisme de ceux qui se distribuaient les places celui de ceux qui prétendaient à toutes." Le "joli mois de mai" dépeint par Grimaldi ressemble moins au printemps des idées neuves qu'à l'efflorescence des idéologies crasses. Frappante que cette vision de Paul Ricoeur : affublé d'une poubelle par les étudiants, il ne sut réagir autrement qu'en leur tendant les cacahuètes qui traînaient dans ses poches. "Je me demandai, confierait plus tard le doyen de Nanterre à l'auteur, si les échanges humains devraient désormais se résumer à cela, et si nous n'étions pas redevenus des singes." Du reste, n'est-il pas ironique que ces événements aient eu "pour principal effet politique de conduire Pompidou et Giscard à la magistrature suprême" ?

Portrait de rejetons de la bourgeoisie mus en gardes rouges sitôt après retournés à leur confort d'origine ou de confrère à l'"éloquence de carême, tout endeuillée d'un Vendredi saint spéculatif", tableaux d'une Université régie par les corporatismes... Il y a du Saint-Simon chez Grimaldi, dont la plume ne trempe dans la causticité que pour mieux fendre le masque des tartufes. Mais ne pas se méprendre, il ne s'agit pas d'un pamphlet anti-68, et malgré son lamento sur l'état de l'art aujourd'hui (auquel on n'adhère pas forcément), L'effervescence du vide forme moins les Mémoires d'un atrabilaire "réac" que les confessions d'un honnête homme chagriné de son inadéquation existentielle.

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