Tu n’as pas tellement changé, le nouveau livre de Marc Lambron, est un texte rédigé en 1995 et publié seulement aujourd’hui «pour faire mémoire» à son frère Philippe. Son cadet de quatre ans, mort peu avant d’avoir atteint l’âge de 34 ans, le 17 juillet 1995, dans une chambre de l’hôpital de Villejuif, avant d’être incinéré au crématorium du Père-Lachaise.

L’auteur de L’œil du silence (Flammarion, 1993, prix Femina) et de Théorie du chiffon (Grasset, 2010, repris au Livre de poche) parle ici avec une rare pudeur, une plume ciselée et une belle profondeur de blessure et de douleur. De l’absence irrémédiable d’un Philippe, né en 1961 sous le signe du Lion, qu’il dit avoir connu et méconnu. Revoici grâce à lui bien présent le jeune homme beau et élégant qui, à Lyon, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, décide de faire son droit et non médecine.

Un «feu follet qui sort par la fenêtre et rentre à l’aube, quand il rentre», s’installe ensuite à Paris, empoche le diplôme de Sciences po, entre dans une grande banque. Un Philippe apprenant à l’automne 1987, à 26 ans, qu’il est porteur depuis quatre ans déjà d’une maladie dont Marc Lambron n’a nul besoin d’écrire le nom. Une maladie que Philippe va porter en lui avec silence et intériorité, mais devant laquelle il a fini par plier.

Le romancier, chroniqueur et journaliste n’a sans doute jamais été plus juste qu’ici. Dans ces pages poignantes et tenues où il ouvre dignement la porte aux souvenirs et aux sensations. Où il fait revivre pour ceux qui n’ont pas eu la chance de le croiser un «nocturne». Un amateur des opéras de Mozart et de Verdi, des Kindertotenlieder de Mahler et des quatuors de Beethoven. Un homme qui avait pleuré à la mort de Claudio Arrau, soignait toujours sa mise, roulait dans Paris sur son scooter gris, aimait les photos de Doisneau et d’Irving Penn.

Tu n’as pas tellement changé est de ces livres qui tout à la fois bouleversent, questionnent et imposent leur nécessité et leur pertinence. Al. F.