Le 14 novembre 1983, autour de minuit, dans le train express 343 reliant Bordeaux à Vintimille fut commis un crime dont la barbarie et la gratuité suffisent à le classer parmi les plus atroces de ces dernières années. En cause, trois jeunes gens âgés de 20 à 26 ans, aux cheveux aussi courts que leurs idées, en route vers le bureau de recrutement de la Légion étrangère à Aubagne, et un autre voyageur, de leur âge, de retour d'un court séjour bordelais auprès d'une amie et correspondante, qui n'eut pour seul tort aux yeux de ses agresseurs que d'être arabe (algérien, de surcroît)... Les trois sauvages, ivres de bière et de colère, le rouèrent de coups avant de le jeter du côté de Castelsarrasin, probablement déjà mort, par la portière du train en marche. Dans la France de ces années-là, de l'émergence du Front national, ce fait divers atroce ne passa pas inaperçu (ainsi, Roger Hanin lui consacra un très mauvais film, Train d'enfer). Et au procès d'assises qui se tint deux ans plus tard à Montauban, l'ensemble des chroniqueurs judiciaires de la presse nationale étaient présents. Parmi eux, le correspondant de Libération pour la région de Toulouse, Jean-Baptiste Harang.
La mort d'Habib Grimzy (rebaptisé comme chacun des "personnages", mais à la mémoire duquel le livre est dédié), son dernier voyage, est le sujet de ce Bordeaux-Vintimille avec lequel l'auteur de La chambre de la Stella (Grasset, 2006) fait son entrée dans la collection animée par Jérôme Béglé, "Ceci n'est pas un fait-divers". Certains lecteurs de Harang se souvenant du lyrisme assourdi de ses livres précédents pourraient s'étonner de la narration volontairement "sans effet" de celui-ci. Pourtant, c'est justement par là qu'il atteint pleinement sa cible. Tout effet aurait été obscène. L'auteur écrit de la déposition d'un des témoins du crime lors du procès de Montauban : "toute l'émotion provient de l'effort qu'il fait pour ne pas s'émouvoir". Il en va de même de ce livre, tendu comme un cri de détresse et de colère trop longtemps refoulé.
