Dominique Laffin, ça vous dit quelque chose ? Pour les spectateurs-trices des années 1970-1980 et les cinéphiles, c'est une image ineffaçable : un visage aux traits enfantins, un peu boudeurs, des yeux rougis qui portent tout le désarroi du monde. Le corps nature et émouvant d'une actrice dont le jeu est tellement juste qu'aucun critique de l'époque ne peut douter que c'est elle, en vrai, la fille quittée, La femme qui pleure son propre abandon, dans le film de Jacques Doillon sorti en 1978. Dominique Laffin a été retrouvée morte dans sa baignoire le 12 juin 1985. Elle avait 33 ans. Sa fille unique, Clémentine, en avait 12. Et ce film-là, la députée Clémentine Autain n'a consenti à le voir qu'en terminale, pressée par sa tante. Quant aux autres, longtemps elle a soigneusement évité de les regarder. « En Dominique Laffin j'ai toujours vu ma mère, et ce n'était pas ton meilleur rôle. »
Une fin prématurée, brutale et pour toujours mystérieuse (accident ? suicide ?) au terme d'une dérive autodestructrice, un destin de rock star. Dominique Laffin, l'« espoir du cinéma français nominé aux Césars » en 1980, a laissé une trace aussi furtive et prégnante qu'un mirage. Et dans la mémoire de sa fille, des souvenirs surgissant par effraction, une douleur tenue en respect pendant trente ans. Ceux qui chercheraient dans ce récit un quelconque épanchement en seront pour leur frais. C'est une adresse directe et simple, d'une franchise distanciée, émotions contenues. Clémentine Autain n'est pas une fille qui pleure. Du moins pas en public. La petite fille plus souvent sidérée, silencieusement angoissée, qui a acquis très jeune « le sens de la responsabilité », est devenue une femme politique qui a tout verrouillé pour oublier cette mère si peu fiable. Se tenir loin d'elle. A « l'envers de sa vie ». S'attachant à marcher droit, visant le normal, le stable, le sûr. Sa volonté et le temps ont bien travaillé. « Tu n'avais pas seulement disparu, je t'avais fait disparaître. » Ainsi les témoignages de fans l'ont mise mal à l'aise pendant des années. Au point d'être incapable d'apprécier les hommages comme ce Portrait d'une enfant pas sage, le documentaire réalisé par Laurent Perrin qui, dans son premier film, Passage secret, a donné à l'actrice le dernier rôle de sa carrière.
Dites-lui que je l'aime, référence au titre du film de Claude Miller de 1977 où Dominique Laffin tient le haut de l'affiche aux côtés de Gérard Depardieu, est une enquête en réhabilitation, la réhabilitation intime d'une mère. Mais pas seulement : Clémentine Autain cherche aussi à trouver une place juste à l'actrice, à la femme. Elle finit par prendre contact avec des gens qui ont connu sa mère, elle va voir Jacques Doillon qui lui raconte le tournage de son film fauché et familial, dans lequel Clémentine a failli jouer le rôle de la petite fille dont la mère malheureuse ne parvient pas à s'occuper. Elle cherche en vain une fiche Dominique Laffin à la Cinémathèque. Peu à peu, la fille trouve des échos à ses propres engagements, des dettes cachées, comme ce choix de travailler sur le féminisme des années 1970 pour son mémoire de 5e année d'histoire ou ce « goût de la liberté » qui la lie à cette femme qui a incarné, en pionnière radicale, une liberté chèrement payée par sa génération qui a « essuyé les pots cassés ».
Peu à peu, elle accepte sans se raidir ou détourner le regard de se confronter à d'autres images, de faire émerger les souvenirs heureux. Se décide à ouvrir, incitée par les questions de sa propre petite fille, la « maudite malle verte », ces archives qu'elle a transportées de « cave en cave » au gré des déménagements. De la face sombre et tourmentée à la lumière apaisée, de l'héritage impossible à la filiation assumée, du règlement de comptes à la reconnaissance : le beau récit d'un long chemin.
Dites-lui que je l’aime
Grasset
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 16 euros ; 162 p.
ISBN: 9782246813958