Au début, il n'y a rien. Juste la mer, un hôpital posé tout au bord de l'Atlantique et, au milieu, un vieil homme qui meurt. Peu à peu, toutefois, l'image se précise. Des personnages entrent en scène. Des personnages ou des souvenirs, ce qui, pour le narrateur, ce vieillard mourant qui se soucie si peu d'être magnifique qu'il le devient, revient au même.
Il y aurait donc les seins d'une jeune fille, caressés à un demi-siècle de distance dans une île, une patiente qu'il nomme "la Mystérieuse" et dont le hiératisme lui demeure une énigme fascinante, une aide-soignante à la douceur poignante, mais aussi les proches de cet homme, dont il oubliera peu à peu jusqu'au nom, au visage, à l'empreinte de leur peau. Et c'est ainsi que le vieil homme ne meurt pas, plus tout à fait là, mais pas encore absent, observant les dessins que l'eau laisse sur le rivage lorsque la mer se retire. Mondes mouvants, vagues songes, ce départ-là est un poème symphonique, une tragédie en sourdine.
C'est tout l'univers, empreint d'un beau laconisme, de L'hôpital maritime, le deuxième roman de Pascal Ruffenach (après De ce côté du monde, Stock 1997). L'auteur, qui dans le "civil" dirige les publications jeunesse chez Bayard, y fait preuve d'une belle audace, affrontant le risque du pathétique. Ces histoires-là - un homme, la mer, le ciel -, d'un impressionnisme glacé, sont sublimes chez Duras ou chez le Gadenne de Baleine, et ridiculement mièvres presque partout ailleurs. Pourtant, Ruffenach s'en sort avec brio en ne cherchant jamais à "écrire plus haut que son sujet", ce qui est une politesse rendue à son lecteur. Et comme dans ces pages la sincérité rime avec une belle simplicité, il n'est pas interdit de se laisser emporter par cette barque poétique voguant sur le Styx.