3 octobre > Roman France > François Garde

Le privilège du romancier, deus ex machina, est de faire basculer selon son bon plaisir, ou une nécessité mécanique, le destin d’un ou plusieurs de ses personnages. Ainsi de Sébastien Armant, altiste dans l’orchestre de l’Opéra de Paris, un garçon jusqu’ici sans relief et sans histoires, marié, deux enfants, le soir de la première de Così fan tutte, dirigé par le chef Louis Craon, l’un des rares Français à manier la baguette à ce niveau. Or, juste avant de commencer, Craon lance un tonitruant "Heil Hitler !" en pleine salle, le bras tendu. On est un 20 avril, date du suicide du Führer. Consternation générale et silence stupéfait. Le premier et, au début, le seul, sans réfléchir, Armant se lève, abaisse son instrument vers le sol comme un fusil à l’envers, et tourne le dos au chef, sans un mot. Bientôt, ses collègues l’imitent, le public réagit, et Craon s’en va. La représentation aura tout de même lieu, chaotique, tant bien que mal, avec L’hymne à la joie et La Marseillaise à la fin.

On imagine le scandale, le tollé. Au début, le président de l’Opéra, très politique, est un peu embarrassé. Puis il comprend vite qu’il doit surfer sur la vague de l’opinion publique, laquelle a fait du musicien un symbole du courage, de la résistance, de la démocratie face aux nostalgiques du nazisme. Bien malgré lui, Armant connaît son "quart d’heure de gloire". Cornaqué par une attachée de presse cynique, on lui fait courir les interviews, les plateaux de télé. Mais cette surexposition médiatique, aussi intense que brève, aura de lourdes conséquences sur sa vie privée : menaces de mystérieux néonazis, sabotage d’une autre représentation, surveillance de la police… Le voilà interdit de jouer, lâché par ses amis, déprimé. Même à sa femme, Julie, il n’ose tout confier. Il lui faudra faire un puissant effort sur lui-même pour sortir seul de cette tourmente, courageusement, et revenir, enfin, plus d’un an après, de cet état d’effroi où il était resté plongé.

Le roman de cette descente aux enfers et de la résurrection d’un homme de bien est subtilement construit et mené par un écrivain sensible, sans pathos, sans donner de leçons. Pour une fois, on nous propose à admirer un Juste qui, comme tous les héros authentiques, n’a pas hésité, a seulement écouté sa conscience et fait ce qu’il devait. En récompense, il retrouvera sa chère musique et son anonymat bien mérité. J.-C. P.

16.09 2016

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