Quiriny passe en littérature blanche. Grand prix de l’Imaginaire 2013, le voici dans la collection littéraire de Flammarion. Pourtant, le pitch du Village évanoui n’aurait pas dépareillé le rayon SF : un village de mille âmes, quelque part en France, se réveille un matin totalement coupé du reste du monde. Nulle frontière visible ; pourtant, impossible de prendre la route, impossible de téléphoner hors du canton, impossible de recevoir la moindre information ni le moindre approvisionnement. En somme, c’est le même problème que le Spin de Robert Charles Wilson, mais sans les tambours ni les trompettes du space opera. Le maire soudain se sent « faire partie de l’histoire », les habitants se mettent à cultiver un potager, le curé de la paroisse se frotte les mains en voyant arriver en masse les villageois éberlués. Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il ailleurs ? A défaut de comprendre, il va falloir s’organiser. Du fermier ombrageux devenant quasi-gourou à l’écrivaillon parisien descendu pour une semaine et coincé sans public ni gloire possibles, les trajectoires individuelles se redéfinissent, dans un monde qui fait désormais cinq kilomètres de côté… Car c’est via les lieux et les personnages que Le village évanoui s’inscrit dans la littérature blanche : des descriptions (« La rue du Docteur-Madiran compte deux ponts, le premier sur l’Arlon, […] le second sur la voie d’eau creusée à partir de 1795 pour le flottage du bois marvandiau ») aux portraits (« Raphaël Pithrier était un petit homme chauve d’une quarantaine d’années, fonctionnaire au ministère de l’agriculture à Névry »), le roman est aussi un hommage au grand Balzac, célébration de l’aventure quotidienne et des héros typiques. On retiendra longtemps quelques moments de vertige : la séduction de la décroissance, le retour de la vie locale dans un village privé de télé, mais aussi la neurasthénie qui s’abat avec l’hiver, la fin de la loi d’Etat dans une communauté livrée à elle-même… Enlevée, légère, la narration pose les questions des aspirations humaines et des organisations sociales. Si l’on peut regretter que le roman ne soit pas plus développé, on ne peut que reconnaître qu’il garde le meilleur de la science-fiction comme du réalisme dont il a fait ses deux parrains.
Fanny Taillandier