Coup de gueule

Librairies : pourquoi tant de livres ?

Gwendal Oulès - Photo DR

Librairies : pourquoi tant de livres ?

Gwendal Oulés, libraire (Récréalivres au Mans), formateur et blogueur (www.leponeyclub.net) souhaite un modèle plus sobre, alors que la surproduction éditoriale et les retours n'ont rien d'écologique.

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Par Gwendal Oulés,
Créé le 20.12.2021 à 09h41

Un jour je l'espère, j'irai au Japon à Tokyo pousser la porte de la légendaire Morioka Shoten Ginza. Il y a quelques années, lorsque plusieurs journaux français ont mis en lumière le travail de ce libraire qui ne proposait à la vente qu'un seul livre par semaine, j'avoue avoir d'abord jugé sa démarche comme une opération marketing branchée. Aujourd'hui, ce modèle iconoclaste m'inspire une réflexion que je souhaiterais adresser au CNL (Centre national des lettres) comme aux Drac (Direction régionale aux affaires culturelles).

La posture professionnelle de Morioka contrevient en effet radicalement à la façon dont est évaluée par les institutions la qualité des librairies françaises. Nous vantons la largeur du choix, l'exhaustivité, la diversité de la représentation de la production éditoriale et la capacité du professionnel à se repérer dans la multitude pour proposer enfin son choix à son client. Cette conception prédominante est un héritage direct de l'ambition de la loi Lang, celle de placer dans les librairies la responsabilité de sauvegarder la richesse éditoriale française en contrepartie d'une régulation de la concurrence sur le prix du livre. L'excellence d'une librairie se juge aujourd'hui au nombre de livres sur ses étagères et ses tables autant qu'à ses clients et aux institutions qui accompagnent sa vie économique. C'est un critère décisif dans l'obtention du label LIR (Librairie indépendante de référence, qui exige un minimum de 6 000 à 10 000 titres en fonction du chiffre d'affaires) et les subventions qui y sont liées. Il l'est aussi dans la capacité à répondre aux appels d'offres des collectivités.

Un modèle plus sobre

Cette vision est pourtant à mon sens largement en contradiction avec les capacités économiques de la plupart des librairies mais aussi avec les nouvelles exigences de notre société. D'abord parce qu'il est vain de vouloir construire un modèle à la traîne d'un concurrent - Amazon - insurpassable sur le critère du choix. Aussi parce que cette attente placée sur la librairie indépendante encourage et justifie des travers que nous devons impérativement interroger face aux défis écologiques : la surproduction éditoriale et les retours.

Si les institutions les y encourageaient, je suis convaincu que les librairies indépendantes de demain pourraient évoluer sans se contredire vers un autre modèle qui valoriserait la sobriété et la réflexion éditoriale sur ces fameuses références minimum. Nous devons réévaluer le pouvoir d'influence économique et politique que nous détenons en réalisant nos achats. Moins de livres dans une librairie n'implique pas mécaniquement une dépréciation du choix ni même de la qualité. Morioka est à ce titre l'exemple ultime d'un libraire qui se définirait par ce qu'il n'a pas plutôt que par ce qu'il a, en cohérence avec les idéaux d'une société vertueuse débarrassée du superflu.

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