Coup de gueule

Manon Tremblay : « Décoloniser », ce n'est pas  effacer le passé

Manon Tremblay. - Photo DR

Manon Tremblay : « Décoloniser », ce n'est pas  effacer le passé

Manon Tremblay, Nêhiyaw (Cri des Plaines), directrice principale des directions autochtones de l’Université Concordia, revient sur la polémique des livres brûlés ou détruits au Canada, parce qu'ils étaient jugés offensants pour les Autochtones.

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Par Par Manon Tremblay, Nêhiyaw (Cri des Plaines), directrice principale des directions autochtones de l'Université Concordia,
Créé le 01.10.2021 à 12h01

Les faits révélés par Radio-Canada le 7 septembre ont provoqué la consternation dans tout le pays et au-delà : au nom de la réconciliation avec les Premières nations, 5 000 livres ont été jetés, pour certains brûlés et leurs cendres enterrées, par le Conseil scolaire catholique Providence en Ontario. Je tiens ici à remettre les choses à leur juste place : l'autodafé n'a rien à voir avec nos traditions culturelles. Nos communautés se sont d'ailleurs largement écartées de cette prétendue « cérémonie » et de cet événement dans son ensemble qui trahit un excès de zèle et une grande confusion.

Quelle fut l'erreur commise en Ontario ? Celle de la précipitation. En ce moment, on veut aller de l'avant avec la réconciliation, on veut voir des résultats, quitte à sauter des étapes importantes. Mais les gens doivent se rendre compte que la réconciliation et la décolonisation, qui est un moyen d'y parvenir, sont des questions complexes qu'on ne peut pas résoudre de façon rapide ou par des actes symboliques. Il ne s'agit pas d'organiser une consultation, une fois, mais de bâtir des relations authentiques et de longue durée avec les Autochtones.

Diversité

Depuis la découverte de cet événement, on parle beaucoup de « décoloniser » les bibliothèques, comme s'il s'agissait d'extirper quelque chose. Il faut plutôt comprendre que la décolonisation, ce n'est pas effacer le passé, c'est le remettre en contexte pour former nos étudiants et nos chercheurs ; ce n'est pas une soustraction de savoirs, fussent-ils racistes ou erronés, c'est une addition. À l'Université Concordia, située à Montréal, un budget annuel nous permet d'acquérir de nouveaux ouvrages qui apportent une diversité de perspectives, et je me réjouis de voir bien d'autres bibliothèques travailler à l'inclusion des voix autochtones, et d'autres voix marginalisées ou racialisées.

En chemin, on se heurte bien sûr à des limites, à commencer par celle du nombre d'auteurs autochtones : au Canada, nous sommes plus de 1,7 million et nous ne pouvons pas tous être écrivains ! Cependant, notre production littéraire, générale et scientifique augmente d'année en année, et les ouvrages écrits dans nos langues ancestrales se multiplient. Je crois d'ailleurs que les universités ont un rôle à jouer dans la revitalisation et le maintien des langues autochtones, par exemple, par l'ajout de cours de langues et de matériel d'apprentissage dans les bibliothèques.

Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les bibliothèques qui ont besoin d'être décolonisées mais l'ensemble des programmes et des cours offerts dans les maisons d'enseignement post-secondaire, où on doit s'assurer que les perspectives autochtones sont bien représentées. En d'autres termes, pour tout ce qui nous concerne, il faudra désormais composer « avec nous ou par nous ».

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