Depuis la publication de mon premier roman, Le dehors ou la migration des truites (Actes sud, 2001), je me suis rarement associé aux démarches visant à réclamer une avancée pour les auteur(e)s. J'estimais d'autres personnes plus en danger : réfugié(e)s, sans-abri, allocataires du RMI, hommes et femmes en fin de droits - la liste est longue.
Je n'avais pas tort, mais le diable se cache parfois dans les détails.
Trop souvent, les auteur(e)s sont contraints de conserver à côté de l'écriture un second travail qu'ils disent alimentaire. Frustrante et fatigante, cette situation aurait un certain charme ; à la faveur de la réforme du Code du travail, j'ai vu paraître des articles dont les chapeaux me parurent d'abord un brin dada, qui présentaient les écrivains comme une source d'inspiration des néolibéraux. Ce qui nous rend si intéressants ? Le fait que nous n'ayons pas de congés maladie, pas de droits au chômage, et que nous acceptions de signer des contrats d'édition bien léonins. Il me fallait changer de ligne de conduite pour m'éviter la honte d'être un jour pris en exemple par les tenants de la dérégulation, ceux qui la nuit nous rêvent complètement à poil, tous autoentrepreneurs. « Nous rabotons vos droits car si les écrivains s'en sortent, vous réussirez aussi. »
Mais surtout je vois beaucoup d'auteur(e)s publier des textes chargés d'anxiété, sur les réseaux, depuis deux ans. Le transfert de compétence de l'Agessa à l'Urssaf-Limousin a été réalisé d'une manière catastrophique : plateforme qui plante, dossiers fautifs, appels à cotisations invraisemblables, etc. Faire le dos rond ? Depuis Kafka nous savons que l'administration est un monstre froid, qui se montre plus souvent intimidant qu'accommodant. « Payez, et si vous ne deviez pas tout ça, on vous remboursera, plus tard. »
Cette angoisse donne un tour absurde ou cruel au scandale administratif ; l'État malmène des citoyens désireux d'être en règle avec lui. Si encore nous lui réclamions des milliards, ou des fraises en plein hiver... Mais non, la demande est très modeste : que l'Urssaf ne se comporte plus en détrousseur des bords de route ; qu'il nous réclame seulement son dû. Ah, oui, le beau soulagement que ce serait ! Je me suis donc joint à la pétition lancée début décembre par des auteur(e)s et relayée par la SGDL. Ce n'est pas un combat corporatiste ; il s'agit de défendre la Sécurité Sociale, étant entendu que « pour supprimer une chose, il faut d'abord la faire dysfonctionner. »