On est en octobre 1963 dans une petite ville sans nom qui pourrait être en Europe centrale. Dobbie, la jeune narratrice de ces Jours merveilleux au bord de l’ombre, compte sur son surdoué de grand frère, Brun, 13 ans, "l’être le plus libre de la famille", pour réparer l’injustice qui a été faite à leur père Davitt Jakob et dont son propre frère Raüben, de vingt ans son aîné, est responsable. Le cadet qui a été accusé à tort d’un détournement de fonds publics subit depuis des années l’opprobre de toute la ville et vit dans la pauvreté et la honte avec sa femme et ses deux enfants dans une petite ruelle mal éclairée. Or le véritable escroc, "le roi des voleurs", est devenu par usurpation le riche propriétaire d’une fabrique de feux d’artifice. Sa "clinquante charité" tient sous sa coupe la famille de son frère qui a perdu l’énergie de se défendre. Fataliste et impuissant. "Stupidement bon", dit sa femme. Les enfants, "petits juges secrets", sont partagés entre leur enquête pour mettre à jour l’innocence de leur père et une certaine attraction pour cet oncle, conseiller communal nommé à vie, qui les invite dans sa luxueuse villa. Et c’est auprès des voisins de la ruelle - il y a là le professeur de violon Monsieur Schwarz, le comte Mato Graf, chapardeur de fleurs dans les jardins, Valère Optik, le "marchand ambulant de cristal et demi-cristal"… - que les enfants tentent de reconstituer la véritable histoire des frères Jakob.
Dans le monde de Rose-Marie Pagnard, le merveilleux éclaire le tragique et le rêve est une des dimensions de la réalité. Elle emprunte une nouvelle fois au conte et à la parabole quelques-unes de leurs formes pour évoquer l’innocence et la culpabilité, la jalousie fraternelle. mais aussi les solidarités, les liens que nulle richesse ne peut acheter. Car comme dans J’aime ce qui vacille (Zoé, 2013), la communauté qui rapproche des individus en marge, l’art et ici en particulier la musique constituent un salut, un mode de résistance, un chemin sur le fil d’une justice incertaine qui, comme l’imagination des enfants, fait des tours et des détours. Véronique Rossignol