C'était mieux avant la crise, ce sera mieux après ? ! Yves Citton n'est pas d'accord. La crise existe, c'est entendu, mais on lui fait porter un peu plus qu'elle ne peut supporter. Et surtout, elle fait écran à la menace écologique et sociale. Un vrai problème de civilisation, de mode de vie et de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Puisque les problèmes de chacun sont les problèmes de tous - voir la Grèce -, il est grand temps de faire pression.
Yves Citton à 50 ans. Il est professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l'université de Grenoble-3. Autant dire que la pensée des Lumières ne lui est pas étrangère. Il a d'ailleurs consacré plusieurs ouvrages à ce sujet (L'envers de la liberté, Amsterdam, 2006) ainsi qu'à l'histoire de l'économie politique (L'avenir des humanités, La Découverte, 2010). Il est par ailleurs membre du comité de rédaction de Multitudes, une revue dans laquelle il a traité la plupart des thèmes développés ici.
C'est donc à la fois comme analyste avisé du passé et comme citoyen qu'il nous invite à Renverser l'insoutenable. Dans cet essai écrit d'une plume vive et enthousiaste, il débusque cinq formes d'insoutenable : l'écologique, le psychique, l'éthique, le politique et le médiatique. "Nous avons plus de richesses qu'il n'en faut pour assurer à chacun une vie épanouissante à la surface de cette planète ; nous n'avons pas développé les langages ni les interfaces qui nous permettraient de traduire cette abondance de ressources en modes de collaboration satisfaisants."
Pour cet optimiste - enfin un ! -, la politique du pire n'est pas inéluctable. Contre la dictature des marchés, les inégalités sociales, les crises démocratiques, les catastrophes environnementales, des solutions existent. Elles passent toute par une sorte de pause dans la fuite en avant. Au-delà de la rhétorique, Yves Citton veut nous ramener sur le chemin de la réalité. Nous dessiller les yeux face au marasme qui nous empêche de voir derrière, c'est-à-dire ce qu'il y a après. "C'est l'absolue banalité de ces remarques, répétées aujourd'hui de toutes parts, qui me semble offrir une raison d'espérer."
Dans ce livre roboratif aux références multiples - Levinas, Guattari, Agamben... -, Yves Citton envisage moins de fournir aux lecteurs une boîte à outils conceptuels qu'une mise à plat, une prise de conscience qui doit entraîner une réaction. "On ne tiendra pas rigueur à Camus d'avoir voulu imaginer Sisyphe heureux, mais on préférera lui montrer qu'il a déjà dans ses poches tout ce qu'il lui faut pour caler sa saloperie de rocher." Ce sont ces petits cailloux qu'Yves Citton nous propose de sortir de nos poches. Cela s'appelle la politique.