Étoiles solitaires. Derrière ses grosses lunettes dissimulant un regard qu'on devine dur et déterminé, Nova est ce qui se fait de mieux dans la petite famille des astronautes. « Brillante, disciplinée, bonnes conditions physiques et génétiques... Mais surtout une grande aptitude à la solitude », résume son dossier. Des qualités qui font d'elle la candidate idéale pour une mission solitaire et sans retour pour explorer une planète lointaine. Sauf que la procédure oblige les partants à participer à une fête d'adieu : une tannée pour Nova la solitaire, qui n'a plus de famille et n'a plus revu ses amis de jeunesse depuis quinze ans. Le temps d'une nuit, ces derniers - Ulysse l'historien, Yseult la mère au foyer et Alan la drag-queen - vont rejoindre Nova et dresser le bilan, un brin désabusé, de leur trajectoire respective.

Sur le schéma classique du « on s'était dit rendez-vous dans dix ans », où les adultes se regardent dans les yeux à la lumière de leurs rêves d'adolescence évaporés, Lisa Blumen propose un petit théâtre tout en sensibilité, qui évite les grandes déclarations et les irruptions d'amertume qu'on pensait incontournables. Dans une mise en scène d'une belle variété, elle suggère d'abord l'étouffement, par des petites cases collées les unes aux autres. Puis, elle met ses acteurs en mouvement, s'appuie sur des cadrages subtils pour souligner des regards lourds de sens - mais jamais celui de Nova, toujours caché sous ses verres blancs - et des gestes précis, tendus, las ou tendres. Sous les encres colorées de l'autrice diplômée de la HEAR à Strasbourg, qui publie là seulement sa seconde bande dessinée après Avant l'oubli et plusieurs albums jeunesse, cette dernière soirée avant la fin d'un monde dépasse le constat fatigué de ces presque quadras sur leur vie - l'un souffre du regard des autres, l'autre de charge mentale, le troisième accompagne son père dépendant. Elle devient une touchante évocation de l'importance de l'amitié, à la conclusion rassérénante : « On a le droit de faire des erreurs, d'aller doucement. Et même de rater exceptionnellement bien sa vie. Ce qui est grave, c'est de s'enfermer dans une fusée pour ne pas avoir à la vivre. » Un album d'une belle maturité, dans le fond comme dans la forme, lumineuse et d'une rare finesse.