Roger Rudigoz affirmait que ses livres remplaçaient sa bibliographie, "enfin dans la mesure du possible et de la décence". En 1969, il se disait "mécontent, sans diplômes, sans ressources, sans convictions, sans honte, sans haine depuis peu". Il avait commencé à publier en 1957 avec Le dragon Solassier (Julliard), premier volet d'une trilogie mettant en scène une famille à travers le XIXe siècle. Puis il a gardé le silence entre Armande, ou le Roman (Julliard, 1969) et Les contes de la souris chauve (L'Ecole des loisirs, 1982), avant de s'éteindre en 1996.
Les éditions Finitude proposent aujourd'hui Saute le temps, le singulier journal intime qu'il tint en 1960 et 1961. Dès le 1er janvier, notre homme, alors âgé de 38 ans, brosse un constat terrible de sa situation. "Bilan : ennuis, soucis, chagrins, pas le rond, bagarre avec le percepteur, mal aux dents, au foie, à la tête, la croûte à gagner, le Julliard raide, dur, sec - rien à attendre -, pas d'amis ou plutôt deux amis, mais le premier est progressiste, l'autre ultra et fasciste", indique-il avant d'ajouter : "Je me flanquerais bien une balle dans la tête... Pas le courage."
Roger Rudigoz a compris qu'un écrivain doit manger, plus encore qu'inventer un nouveau langage ou décrire un monde que personne n'a jamais décrit. Le natif de Romans-sur-Isère, dans la Drôme, ville avec ses usines et ses tanneries, confesse qu'il a fait tous les métiers : "photographe, peintre en lettres, monteur dans l'imprimerie, représentant en diverses saloperies qui ne se vendaient jamais, débardeur, manoeuvre dans le bâtiment, terrassier".
En pleine guerre d'Algérie, l'auteur du Fauteuil vert (Le Tout sur le tout, 1986) travaille en banlieue. Il regarde les êtres qui l'entourent, alterne les souvenirs de son enfance et de sa famille avec les commentaires sur le présent. On aurait tort de ne pas plonger dans les pages tendues d'un écrivain qui se déclare être celui "des petits retours en arrière, des scrupules, des retouches, des corrections".
