4 JANVIER - ESSAI France

Alain Mabanckou- Photo OLIVIER DION

Malgré lui d'une certaine façon, grâce à son charisme, à son franc-parler et à la notoriété que lui ont value ses livres (surtout Mémoires de porc-épic, paru au Seuil en 2006, prix Renaudot), Alain Mabanckou est un peu considéré comme le "grand frère" idéal, le porte-drapeau de tous les Noirs de France. Position pas toujours aisée, dans un pays qui se vit "en mal de repères", se complaît dans le repentir et les excuses tout en tentant de transformer en rempart une supposée "identité nationale". Vieille lune de toutes les extrêmes droites récupérée par des démagogues de tous bords. Alors, au risque de décoiffer autant les rasés que les dreadlocks, Mabanckou a décidé de mettre quelques points sur pas mal de i, dans ce recueil de douze courts essais au titre, déjà, volontairement provocateur.

L'auteur expose sa propre situation : Alain Mabanckou, de Pointe-Noire, au Congo ex-Brazzaville, est un Noir de nationalité française, parce que ses parents, nés avant les indépendances, étaient citoyens d'une colonie française, donc français. Lorsqu'il est arrivé à Nantes, à la fin des années 1980, il a dû expliquer à ses frères sans-papiers qu'ils pouvaient ainsi réintégrer légitimement la communauté nationale. Mabanckou vit aux Etats-Unis où il enseigne, grâce à la carte verte, la littérature française en français à des étudiants américains. Là-bas, il est perçu, malgré lui encore, comme un porte-parole de la France et de sa littérature. Statut qu'il assume. Mais la France moderne ne saurait être cantonnée à un espace géographique, à un repli "identitaire". La patrie, c'est avant tout une langue, le français, qu'Alain Mabanckou illustre avec talent et défend avec vigueur.

N'en déplaise d'ailleurs à certains de ses confrères africains, qui voudraient écrire "sans le français », dans leurs langues d'origine. Une absurdité, et une erreur face à l'histoire. Sauf dans les fantasmes de certains, l'Afrique n'est pas une, mais plusieurs. Il y a des Afriques, aussi diverses que les autres continents. Autre idée reçue : la prétendue "communauté noire" française. Un leurre ! Quel point commun, interroge Alain Mabanckou, entre Antillais, Haïtiens, Guyanais, Malgaches, Africains, Indiens, d'origines, de langues, de religions différentes, si ce n'est leur couleur de peau ? Laquelle, justement ne doit jamais être un critère de définition. "C'est le Blanc qui a inventé le Noir », écrit-il fort justement en invitant les Noirs à ne pas se complaire dans les larmes sur l'esclavage - pratiqué d'abord sur le continent par les Noirs eux-mêmes et les Arabes, sujet longtemps tabou - et le ressentiment contre l'ancien colonisateur, ni en faire le bouc émissaire de tous les maux actuels de l'Afrique. "Les Africains aussi sont responsables de leur faillite », précise-t-il. Et les indépendances ont été pour la plupart de sinistres mascarades. Combien de pays d'Afrique noire, ex-colonies françaises, vivent dans la liberté, la démocratie, la prospérité ? Le constat est accablant, et la fin du livre plutôt pessimiste.

Alain Mabanckou n'est pas un homme politique. Il ne prétend pas avoir de solutions aux problèmes. En revanche, c'est un écrivain dans son siècle, qui réfléchit librement et pose des questions essentielles. Une démarche salutaire, civique, en cette précampagne électorale où les vieilles lunes resurgissent, afin de susciter la peur de l'autre, donc la haine. Ça, ce n'est pas français.

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