Italie barbare est constitué de six essais ou préfaces, publiés par Curzio Malaparte (Kurt-Erich Suckert, 1898-1957) en 1925, c’est-à-dire vers la fin de son "flirt" avec le fascisme. Dès 1929, il s’en prendrait au Duce en personne (dans Monsieur Caméléon), avant la rupture spectaculaire de 1931, l’exil, l’emprisonnement et la relégation aux îles Lipari. Puis vint la guerre, qui changea encore la donne. Caméléon idéologique lui-même, l’écrivain, schématiquement, débuta nietzschéen, et finit communiste, tendance Mao !
En 1925, Malaparte s’invite dans le débat politique qui divise l’intelligentsia italienne, entre tenants du Strapaese, nationalisme et ruralité, les deux mamelles du fascisme, et ceux du Stracitta, villes, ouverture sur le monde et démocratie. Au début, il se range dans le premier camp, mais à sa façon : en Florentin hautain (il est né à Prato), fier de son exception culturelle dont le symbole est Michel-Ange, il célèbre la Renaissance, voue aux gémonies la Contre-Réforme puis le Risorgimento, et lance des volées de bois vert à ses contemporains. Des "couilles molles" incapables de faire la révolution, raison principale de la crise de civilisation que traverse alors l’Italie. "Parler du futur répugne à notre nature incorrigiblement antique", écrit-il notamment.
Après pas mal de tribulations et de vicissitudes - sa vie est un incroyable roman d’aventures - et une guerre courageuse, Malaparte, écœuré par l’après-guerre dans son pays, décide de s’installer à Paris en 1945 et songe même, un temps, à devenir un écrivain français. Maîtrisant parfaitement notre langue, c’est en grande partie en français qu’il rédige son Journal d’un étranger à Paris, qui court sur les années 1947-1948. Le texte avait été publié chez Denoël, en 1967, et jamais repris depuis. Présenté par l’auteur comme un "roman", c’est un livre curieux et composite. A la fois carnet mondain : de retour dans sa "vraie patrie" après un "exil" de quatorze ans en Italie, le dandy court les dîners en ville, les réceptions, les grands restaurants, les spectacles. Ce qui lui vaut par exemple les reproches de Mauriac à propos de ses "complaisances" envers Mussolini et le fascisme. Ou encore d’assister à la première de l’adaptation par Gide du Procès de Kafka, interprété par Jean-Louis Barrault. En dépit de son admiration pour Gide, il estime que sa pièce est "tout le contraire du roman". Mais ce Journal est aussi politique, polémique : Malaparte y rappelle sans cesse son engagement, en 1914, dans l’armée française, se proclame anticatholique tout en célébrant la cathédrale de Chartres, ou se gausse de Sartre et de son existentialisme, dont "tout le monde se fout"…
Cet "étranger", qui finit par rentrer chez lui, ne cessa d’exprimer son admiration pour l’esprit français et de dire aux Français : "Vous êtes un grand peuple." Où sont les Malaparte d’aujourd’hui ?
J.-C. P.