"Nous voilà bien, François, toi l’agnostique qui croit un peu et moi le croyant qui doute beaucoup, habitant une certaine inquiétude." Passer la surprise : le François à qui l’on s’adresse est bien Bégaudeau ? Interpellé sur des questions de foi ? Et son interlocuteur complice, Sean Rose, le collaborateur de Livres Hebdo et écrivain (Et nos amours, Denoël, 2009, Le meilleur des amis, Actes Sud, 2017) ? Il faut mettre de côté ses préjugés pour entrer dans cette correspondance en forme de dispute théologique contemporaine où chacun a joué le jeu avec une grande sincérité pour exposer, confronter, éclaircir sa manière de croire et de douter. C’est Sean Rose qui est à l’initiative de cet échange, où il s’agissait d’explorer cette "zone grise où s’enlacent le doute et la foi", question qu’il s’est posée quand, devenu père, il a souhaité transmettre à son fils "les valeurs du christianisme".
François Bégaudeau, "le fils de profs ultra-laïques", revient d’abord sur le "périmètre plus aclérical qu’anticlérical" de son enfance et sur la façon dont la vocation programmée d’athée va être contrariée à l’adolescence par la rencontre édifiante avec des écrivains catholiques (Pascal, Balzac, Bernanos, Mauriac…) et des cinéastes chrétiens (Ford, Bresson, Dreyer, Rossellini, Rohmer, Pasolini, Pialat). "La langue chrétienne n’a plus cessé de me parler", avoue-t-il sans détour.
Rapidement apparaît dans les lettres, ponctuées souvent par des questions-relances, un doute surgi de "l’angoisse" de la mort, de la "prescience concrète du trou" ressenti enfant. Une certaine inquiétude révèle une soif d’absolu qui vient s’arrimer à un vitalisme revendiqué. Elle met au jour l’attraction pour une version dure de la religion où la foi se déploie avec une ardeur vitale violente, pour une croyance qui n’a rien à voir avec "une simple sagesse", ni avec le "cool" "tiède" et "mou" de la spiritualité.
Sean Rose, "croyant sceptique" né à Saigon d’une mère vietnamienne et d’un père anglais, élevé dans la foi catholique, est séduit de son côté, dans le sillage du théologien John D. Caputo, par cette idée "d’insistance de Dieu", plutôt que d’existence. Fidèle de la paroisse anglicane Saint-Georges à Paris, plus près du rite et de la liturgie, il insiste sur la forme, saluant une "religion de l’incarnation", la foi comme "affaire de désir", défend la vertu de l’agenouillement, de la prière et du chant. Touché par cette "éthique/esthétique de l’humilité", il soutient que "le christianisme est un existentialisme".
Entre ces deux esprits rétifs au prêchi-prêcha de toute chapelle, le dialogue est souvent vif, ça ferraille ferme, ça s’échauffe, on se retourne les arguments, on esquive, on durcit ses positions. Les notions de pauvreté, de "sensualité", de charité, de lecture littérale du Verbe donnent lieu à des joutes très frontales. Quand l’un (on vous laissera deviner lequel) s’inquiète que son "cœur refroidi" ne le rende moins attentif au sort de son prochain, l’autre postule au contraire qu’une forme d’insensibilisation est nécessaire pour être réellement charitable. On sort nourri de cet échange vivant et littéraire, respectueux et tonique.
Véronique Rossignol