"L’Antarctique n’est pas un pays", c’est un univers à part entière. Deb Gardner a beau le parcourir encore et encore, elle ne se lasse pas de ces paysages à la magie infinie. Malgré le grand froid et les conditions rudimentaires, le son et lumière de ce désert de glace est ensorcelant. La biologiste chevronnée vient y observer des colonies d’Adélie. Ces manchots empereurs nous renvoient à la fragilité d’un écosystème menacé. L’héroïne ne peut s’empêcher de penser qu’il y a tant de points communs entre eux et les humains. Tous deux s’avancent en titubant entre les failles de l’existence.
"J’ai longtemps considéré ce continent comme un être vivant, une Gaïa. Aujourd’hui, il me fait penser à une créature au tempérament imprévisible, inventif, sauvage", souligne la narratrice. Elle s’occupe souvent des touristes de l’extrême, qui viennent justement se frotter à cette beauté. "Il y a deux sortes de visiteurs. Ceux qui ont écumé toute la terre et ceux qui n’ont plus d’endroit où se cacher." Keller, lui, fuit un chagrin inconsolable. Sur ces glaciers d’une blancheur virginale, il espère renaître. La rencontre de ces deux êtres esseulés fait des étincelles. L’amour est si fort qu’il ressemble à "un mirage polaire". Sous les vents glaciaux couvent des tempêtes intérieures, car chacun a ses blessures et ses rêves qui séparent sporadiquement leurs chemins.
Dans ce premier roman, Midge Raymond rappelle à quel point on ne maîtrise rien dans la vie comme dans la nature. Le livre s’ouvre sur le naufrage d’un navire, piégé par la puissance d’un iceberg. L’histoire de Deb et de Keller est liée à cette tragédie, que l’auteure déconstruit en jonglant avec de multiples chronologies. Peu à peu, on saisit mieux ces amoureux qui n’arrêtent pas de se louper. Comme s’ils ne parvenaient pas à colmater les brèches de leurs souffrances invisibles. "Nous sommes comme la glace qui se déplace et se transforme sans cesse."Kerenn Elkaïm