Encore une dernière chose. Il faut beaucoup de science et plus encore de travail pour parvenir à donner l'idée, une vie et une œuvre durant, qu'on en a peu ou prou jamais fourni aucun. Que tout arrive, sur la page aussi, comme par-devers soi. Dans ce registre où la discrétion le dispute à l'élégance, Bernard Frank ou Frédéric Berthet excellèrent plus souvent qu'à leur tour. Et Michel Braudeau n'est pas en reste. Voir sa récente suite autobiographique, Place des Vosges (Seuil, 2017), Rue de Beaune et La Porte dorée (Stock, 2018 et 2021) où la carte de Tendre parisienne se confond avec celle des souvenirs enfuis et des voix éteintes.
C'est quelque chose de cet ordre qui est à nouveau convoqué dans ce Raspail vert qui s'annonce comme l'ultime volet de cette recherche du temps pas perdu pour tout le monde. Quelque chose né d'un accident de santé qui faillit obliger l'auteur de Naissance d'une passion (Seuil, 1985) à traverser le miroir, cette fois-ci sans espoir de retour. Alors, puisque la miséricorde, divine ou non, prit encore une fois pitié de lui, Braudeau a fait ce qu'il sait faire de mieux : se souvenir. Revenir à ces années où « je ne comprenais pas bien qui j'étais ni où j'allais, sinon dans les livres, comme on va dans le décor. En invisible compagnie ». Il le fait depuis ce quartier parisien qui est désormais le sien, vers le boulevard Raspail donc et le cimetière du Montparnasse, depuis la terrasse d'une brasserie où il a pris ces habitudes, entre garçons de café curieux et philosophes et quelques fantômes familiers qui furent eux aussi habitués des lieux, Sartre, Beauvoir...
Et après tout, puisque selon son propre aveu, « on est plein de passé dès le départ », Michel Braudeau ne se prive pas de ces scènes d'enfance qui lui paraissent initiales autant que capitales. Ainsi, ce regard auquel il n'aura jamais su répondre, celui d'une petite fille sur lui et le champ des possibles... Ce n'est là qu'une partie du kaléidoscope précieux qu'est Le Raspail vert. Ses pages sont aussi traversées par une fascination amoureuse pour plus lascifs, pensifs et aquoibonistes que l'écrivain : ses chats. Qui savent tout bien entendu et s'en moquent allègrement. Le lecteur lui, retiendra l'allégresse.
Le Raspail vert
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Tirage: 2 000 ex.
Prix: 18,90 € ; 160 p.
ISBN: 9782234096752