Masterclasse

Michel Houellebecq : « Tant qu'on a un livre, on est sauvé »

Michel Houellebecq avec Agathe Novak-Lechevalier lors de l'entretien public « Le Livre ou la vie » à la Sorbonne le 2 décembre dernier. - Photo © Philippe MATSAS/Leextra via opale.photo

Michel Houellebecq : « Tant qu'on a un livre, on est sauvé »

Dans l'amphi Richelieu, à la Sorbonne, ce jeudi 2 décembre, Michel Houellebecq a joué les rock stars de la littérature pour une masterclass, entre punchlines, confidences et inquiétudes.

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Par Emmanuel Poncet
Créé le 21.12.2021 à 12h02

C'est avec une cigarette électronique, un joli sac à dos bleu-gris à poches, l'humeur joyeuse, le teint frais et un verre d'eau plate pour tout viatique que Michel Houellebecq pénètre sur l'estrade de l'amphi Richelieu, à la Sorbonne, ce jeudi 2 décembre. Un impressionnant piano à queue trône à quelques mètres de lui, mais la rock star des lettres françaises n'est pas venue pour l'une de ses fameuses lectures poétiques et musicales, comme il en a réalisé au Rex Club, à guichets fermés, quelques semaines plus tôt.

Les deux premiers rangs de cette conférence intitulée « Le livre ou la vie » ont été réservés pour quelques VIP, de Bernard-Henri Lévy, avec qui il écrivit Ennemis Publics, à son agent historique François Samuelson. Le reste de l'assemblée - plusieurs centaines de personnes - invitées par la chercheuse Agathe Novak-Lechevalier qui mène l'entretien, est composé de fans de la première heure, boomers aux tempes grisonnantes autant que d'étudiants en lettres stylés. Ferveur palpable, mais toute en retenue : un ou deux smartphones à peine sont brandis à l'issue des 1 h 30 de dialogue entre la chercheuse et l'auteur pour filmer la star. L'exercice est soigneusement borduré, en phase avec la confidentialité et le plan marketing qui verrouillent le lancement du livre. « Nous n'évoquerons pas votre nouveau roman », promet d'entrée de jeu Agathe Novak-Lechevalier. De même, les polémiques ou phrases-chocs période Plateforme ou Sérotonine, à peine effleurées par leur auteur d'un laconique : « Au début du XIXe siècle, je n'aurais pas fait un tel barouf. »

L'objet-livre

Michel Houellebecq se sent en confiance. Il distille avec jubilation ses légendaires punchlines, historiques ou existentielles, paradoxales et définitives : « Je renouvelle toute mon antipathie à Napoléon 1er, l'un des personnages les plus méprisables de l'histoire universelle » ; « Je suis tout à fait favorable à la cancel culture » ; « Vous ne décidez pas de devenir écrivain, ce sont les autres qui le décident pour vous » ; « Il y a plus de différences entre 0 et 1 lecteur qu'entre 1 lecteur et 1 million » ; « Je ne crois pas avoir fait des trucs de dingue dans ma vie »...

Mais c'est en abordant la fonction du livre, l'objet-livre dans sa « matérialité », son pouvoir et son aura que ce « jeune vieux » - « Je commence à penser à la mort, d'ailleurs je fume des cigarettes électroniques (sourire) », comme il se définit lui-même, brille le plus ce soir-là.
 

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« Je tiens à l'objet-livre, glisse-t-il presque gravement. C'est l'un de mes objets préférés dans la vie. » Il attrape alors son sac à dos bleu-gris surdimensionné, posé à côté de lui, puis le brandit malicieusement devant la salle amusée : « Regardez, il est presque vide. Je n'ai rien dedans à part un livre, celui de Vincent Maillard qui a obtenu le prix 30 millions d'amis (L'Os de Lebowski, chez Philippe Rey, ndlr). »

On sait depuis feu Clément que les chiens sont à Houellebecq ce que les chats furent à Colette. Le livre serait-il pareil à un animal de compagnie qui nous aide à vivre ? Le parallèle est évident mais Houellebecq ne relève pas. « Si je n'ai rien à lire, je panique. Tant qu'on a un livre, on est sauvé. »

S'il ne croit qu'aux « royaumes restreints, comme l'amour », le poète sait aussi les limites du pouvoir d'un roman. « La puissance d'un livre est énorme mais je ne me suis jamais plaint du fait qu'un livre n'a jamais changé le monde. » Être ou ne pas « être relié », telle semble plutôt la question qu'il voudrait résoudre. « Quand je lis, je ne suis pas relié à un flux, détaille-t-il. Aujourd'hui, tout le monde est dans le flux. C'est dangereux. Il faut savoir être seul à certains moments. Le livre permet cela. »

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