À livre ouvert. Plutôt que de réécrire et de mettre à jour son premier livre, Michel Pastoureau a entrepris d'en raconter l'histoire. Le spécialiste des couleurs et des symboles en a eu l'idée après une conversation avec le regretté Maurice Olender. Le résultat est judicieux et jubilatoire. À travers sa propre histoire, il déroule celle d'une époque de l'édition et révèle un sens de l'humour aiguisé. Ce premier livre paraît en 1976 chez Hachette sous le titre La vie quotidienne en France et en Angleterre au temps des chevaliers de la Table ronde. L'auteur a 30 ans. Frais émoulu de l'École des chartes, c'est un jeune auteur épris du XIIe siècle et de littérature.
Ce retour sur ce premier livre nous vaut quelques pages très drôles sur le monde de l'édition d'alors, avec un directeur de collection « vieux beau » qui le reçoit dans son immense bureau avec moquette épaisse et lévrier. Autres temps... Mais certaines coutumes n'ont pas changé. Le premier rendez-vous avec le correcteur, la séance des dédicaces, le premier salon, la première conférence, la première critique.
Michel Pastoureau avoue avoir écrit pour une revue, mais sous la signature d'un confrère paresseux, la propre recension de son ouvrage en émettant quelques réserves sur tel ou tel point. On n'est jamais si mal servi que par soi-même... En tout cas, « ce livre a fait de moi un médiéviste ». Il lui met le pied à l'étrier et développe son envie de recherches et d'écriture pour transmettre sa passion. À raison, il considère que les historiens sont encore les mieux placés pour vulgariser leurs travaux plutôt que d'en laisser l'opportunité à des plumes médiatiques. Encore faut-il qu'ils le veuillent.
Le timide Pastoureau, qui n'aime ni le téléphone ni les dîners en ville, montre aussi de quoi est fait son travail d'historien renifleur, car le flair est au moins aussi essentiel que la vue pour observer le passé. En outre, « un vrai chercheur se doit de rêvasser », dans les bibliothèques, dans la rue ou chez lui.
Enfin, il y a l'hommage émouvant à son père Henri Pastoureau, ami d'André Breton, et l'espoir de croire que les humanités « n'ont peut-être pas dit leur dernier mot ». « Que reste-t-il de nos curiosités d'étudiants, de nos enthousiasmes de jeunes chercheurs, de nos premiers articles publiés ? » La réponse se trouve dans la vivacité de ce récit qui s'attache moins au passé qu'à ce qui passe. « Le principal matériau sur lequel travaille l'historien est le temps. » Mais ce temps est aussi celui qui érode les vies. L'apparition de l'ordinateur, puis d'Internet, a bouleversé la méthode et provoqué le sentiment d'un déclassement, comme ce fut le cas pour ses maîtres. « Leur chagrin était peut-être semblable à celui qui est le mien aujourd'hui. »
Pourtant, on aurait tort de ne voir dans cette évocation du premier livre qu'une nostalgie. Même si l'âge est là désormais, la passion demeure intacte dans cette Dernière visite chez le roi Arthur. Et cette « histoire d'un premier livre » permet de comprendre tous ceux qui ont suivi.
Dernière visite chez le roi Arthur. Histoire d'un premier livre
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 176 p.
ISBN: 9782021512694