Dans l'excellent Dictionnaire du romantisme d'Alain Vaillant (paru en avril dernier chez CNRS éditions), qui redonnait au mouvement artistique sa dimension politique, Jules Michelet (1798-1874) était présenté comme l'historien du sentiment national, celui qui recherche inlassablement les forces du passé pour les mettre en évidence. On comprend pourquoi Sainte-Beuve le traitait de cuistre, et Zola de maître. "C'est l'historien qu'il me faut, fouillant les passions, voyant surtout des hommes dans l'histoire, et non des types providentiels débarrassés de leur chair et leur coeur."
Laurent Greilsamer penche du côté de Zola évidemment. L'ancien directeur adjoint du Monde, biographe d'Hubert Beuve-Méry, de René Char et de Nicolas de Staël, a désossé l'oeuvre complète de Michelet pour la remonter à sa façon, par petites cases, par idées, personnages ou événements, afin que chacun retrouve ou découvre une phrase ou un passage tirés des milliers de pages noircies par ce grand scribe du passé.
Il s'agit donc moins d'un dictionnaire au sens traditionnel du terme, puisqu'il n'y a pas d'article sur sa vie ou sur son enseignement au Collège de France, que d'un abécédaire dans lequel Michelet se livre tout entier, un vade-mecum pour circuler dans cette oeuvre immense qui se revendiquait partiale. L'ouvrage est composé de deux parties : celle des noms communs et celle des noms propres, avec au milieu, comme dans Le petit Larousse, non pas des pages roses, mais des pages tricolores avec les meilleures citations concernant la France, son histoire et sa mémoire.
Dans la première, on trouve par exemple, au terme "nation", cet extrait de sa correspondance : "Les dynasties passent. Les religions passent. Les nations restent." Et dans la seconde cette fameuse formule pour peindre Mirabeau : "Il naît déplaisant et baroque, déjà dentu, le frein à la langue et le pied tordu."
Laurent Greilsamer n'a pas voulu faire oeuvre savante. Son Dictionnaire Michelet est avant toute chose un instrument destiné au plaisir que l'on peut prendre à redécouvrir cet historien capital. Capital parce qu'il nous rappelle que l'histoire est d'abord un récit qu'il savait souvent rendre envoûtant. Capital, parce qu'il y avait chez Michelet des fulgurances et des intuitions visionnaires, comme dans cette lettre adressée à Charles Darwin en 1872 et reprise dans la préface de son Histoire du XIXe siècle : "Je vois avec bonheur l'entreprise du pont ou plutôt du tunnel qui, passant de Calais à Douvres, rendrait les deux pays à leur voisinage réel, à leur parenté, à leur identité géologique." Michelet défenseur du tunnel sous la Manche...