Juge d’instruction, un oxymore ? Enquêter et juger, n’est-ce pas un peu être juge et partie ? Cette spécificité du droit français n’existe d’ailleurs pas dans la common law, le système juridique anglo-saxon où le magistrat cantonné à son rôle d’arbitre ne se mêle pas d’investigation. Certes, une affaire comme Outreau où des innocents furent jetés en prison pour viol d’enfants peut révéler les limites de cette procédure inquisitoire où l’instruction est à charge et censément aussi à décharge.
Ainsi le juge instructeur a-t-il fait l’objet de toutes les avanies. Un certain Nicolas Sarkozy proposa même qu’on supprimât tout bonnement cette fonction. Il faut dire que, entre l’ancien président de la République et les magistrats dans leur ensemble, les relations n’ont pas toujours été au beau fixe : le premier avait taxé les seconds d’être des "petits pois" uniformes et bien-pensants. Marc Trévidic, star du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, avait répondu au chef de l’Etat d’alors en le traitant de "récidiviste" du dénigrement de la justice. Le médiatique juge d’instruction en remet une couche : en guise de réplique à qui souhaiterait la fin de sa profession, il signe un essai sous forme de conte satirique, Qui a peur du Petit Méchant Juge ?. Plutôt qu’un plaidoyer pro domo, l’auteur de Terroristes : les 7 piliers de la déraison (Lattès, 2013) livre une réflexion sur la difficulté du métier.
Descendant du lieutenant-criminel créé par François Ier et de ses différents avatars de l’Ancien Régime jusqu’à la Ve République, le juge d’instruction est issu d’un système judiciaire à la botte du pouvoir. Le Petit Méchant Juge alias "PMJ" a dans son ADN un tropisme servile : il cire les bottes du "Patron" et fait briller le parquet (le ministère public qui saisit le juge d’instruction). Aujourd’hui que la présomption d’innocence a été réaffirmée, la tâche n’est pas plus simple, PMJ se retrouve tiraillé entre Créon et Antigone : raison d’Etat, "le Château", et un vague esprit de justice qui l’anime encore. Janus horribilis ! Il est complètement schizo. Trévidic couche dès les premières pages son protagoniste sur le divan du psy. Cet essai-roman à clés alterne entre les séances chez le docteur Bleuler et les conversations avec le Patron afin de dessiner la topographie d’un système qui ne cherche qu’à se pérenniser. Une France hiérarchisée où certains habitent le château de pierre et d’autres celui de brique ou de paille, comme ces "Petits Cochons" (le peuple) qu’un autre président a pu traiter de "veaux" mais qui sont au final les dindons de la farce. S. J. R.